Bayrou sort du silence
Deux mois après leur défaite aux européennes, PS et MoDem ont lancé, chacun, une réflexion pour bâtir une alternative à la politique de Nicolas Sarkozy. Alors que les socialistes planchent sur un
nouveau modèle de développement qui ne se contente plus de réparer les dégâts de la mondialisation, mais tienne compte à la fois des préoccupations écologiques et sociales, François Bayrou, lui,
a accepté de se « remettre en question » et prépare activement le congrès programmatique de son mouvement à l’automne. Le leader du MoDem a accepté de rompre le silence qu’il s’imposait depuis
deux mois pour expliquer à « La Croix » sa stratégie
Il n’a pas dit un mot, ou presque, depuis l'échec puissant du MoDem aux élections européennes de juin. Une cure de silence nécessaire pour digérer la défaite, en tirer les leçons et préparer la
suite. Mercredi 5 aoûr au matin, dans son bureau parisien, c’est un François Bayrou détendu et serein qui prend acte des difficultés actuelles : un score catastrophique aux européennes (8,5 %),
suivi d’une pluie de critiques sur ses méthodes de management, sa stratégie anti-sarkozyste, l’hyper-personnalisation du mouvement et le manque de projet véritable. « Ce ne fut pas un moment
agréable, admet le président du MoDem. Quand c’est l’engagement d’une vie, vous vivez les accidents durement. »
L’occasion pour François Bayrou de se remettre en question : « Il faut que l’accident soit utile, poursuit-il. J’en ai tiré les enseignements. J’ai trop été dans
l’affrontement, les Français n’aiment pas cela, et ils ont raison. Le combat de fond mérite mieux que la bagarre. Je veux changer de style. Mon indignation m’a entraîné dans la mêlée, alors
qu’elle aurait dû me mettre à distance. »
C’est donc ce à quoi il s’est employé ces dernières semaines. Le président
du tout jeune parti centriste a multiplié les rencontres et les échanges avec des experts et des intellectuels. Il a privilégié, cet été, les économistes et les budgétaires pour réfléchir au
problème de la dette. « Je me suis concentré sur le fond, dit-il. J’ai refait ma radioscopie de la société française. »
Objectif : être prêt pour fin novembre, au plus tard début décembre, quand se tiendra le grand congrès programmatique du MoDem, visant à bâtir un projet alternatif solide, pour les échéances
électorales à venir.
Pour préparer ce congrès, François Bayrou a demandé à tous les membres du bureau exécutif d’écrire une contribution pendant l’été, sous l’angle du projet. Marielle de Sarnez, numéro deux du
parti, a planché sur les moyens de redéfinir un projet de centre gauche en Europe, face à une droite pragmatique qui n’hésite pas à emprunter à tous les registres doctrinaux.
De son côté, l’ancien directeur du Crédoc, Robert Rochefort, a dressé une
liste de « huit thématiques fortes » sur lesquelles le MoDem est attendu (capitalisme, classes moyennes, retraites et place du travail dans la société de demain, etc.).
Le même travail de réflexion, « sans a priori et sans tabous », a été mené en parallèle par 18 commissions chapeautées par la vice-présidente Corinne Lepage. Ces commissions thématiques (justice,
éducation, agriculture, etc.) doivent présenter un condensé de leurs travaux aux universités d’été du parti, début septembre à La Grande-Motte.
« Nous sommes dans une époque brouillée à plusieurs égards, analyse François Bayrou. D’abord parce que Nicolas Sarkozy emprunte à tous les registres, toutes les idéologies, d’où un écran de
fumée. Ensuite, parce que la crise a entraîné une incroyable confusion intellectuelle, y compris chez les économistes. Devant un tel bazar intellectuel et politique, la question d’une politique
durable, ou plutôt soutenable – sustainable, comme disent les Anglo-Saxons – se pose avec encore plus d’acuité. Nous devons proposer un chemin alternatif simple et compréhensible pour tous.
»
Dans ce travail de refondation, le
MoDem ne part pas de zéro. Sur le plan philosophique, la réflexion s’ancre dans la tradition de l’humanisme, notamment d’inspiration chrétienne. Le projet s’adosse en outre à plusieurs lignes de
force : lutter contre « l’insularité », l’émiettement de la société pour recréer du lien et rompre avec l’irresponsabilité des dirigeants vis-à-vis des générations futures.
Le leader du MoDem proposera, par exemple, qu’un défenseur des générations à venir ait la parole chaque fois que seront prises les grandes décisions publiques. Enfin, le programme présidentiel de
2007, malgré la crise, reste d’actualité dans ses grandes lignes : désendettement, création de « vrais » emplois, créer les bases d’un « pouvoir équilibré ».
Pas question de changer de cap, donc. Ni même de cesser de critiquer la politique menée par Nicolas Sarkozy. « Chaque fois que l’enjeu le méritera, je dirai les choses sans concessions, conclut
François Bayrou. Les accidents vous font changer d’attitude, pas de cap. »
(c) LaCroix 06/08/09