Je ferai tout pour qu'émerge la nécessaire majorité de courage et de bon sens
Dans les colonnes de l'hebdomadaire Réforme, François Bayrou a revendiqué cette semaine sa "liberté de non-aligné". "La nécessité des temps, c'est qu'au lieu de complaire dans l'affrontement perpétuel, on sache coopérer pour sauver le pays", a-t-il détaillé.
La crise de l’UMP vous concerne-t-elle ? Et en quoi ?
Je ne suis pas membre de l’UMP, vous le savez bien, et j’ai depuis le premier jour critiqué la formation de ce qui se voulait un « parti unique ». Mais comme citoyen et comme
responsable politique, je mesure les dégâts sur l’image de la démocratie. Et les dégâts aussi sur la capacité des grands courants du pays à travailler ensemble pour sortir notre pays de la crise
où il s’enfonce. Je suis persuadé que le jour viendra où toutes les sensibilités réformistes, la gauche social-démocrate, le centre, une partie de la droite républicaine devront s’accorder sur
des réformes nécessaires. Cela exige que l’on fasse passer l’intérêt général du pays avant les intérêts personnels ou partisans. On en est loin ! Cette crise est un symptôme de plus d’un
processus de décomposition qui touche aussi bien la majorité, qui se divise sur des sujets cruciaux entre les plus à gauche ou les écologistes qui sont entrés pratiquement en dissidence, que
l’opposition qui explose en public. Et les citoyens ne retiennent que ce climat d’incohérence, de rivalités personnelles, d’intérêts particuliers, d’excès en tout genre.
Le conflit qui oppose Jean-François Copé à François Fillon marque un clivage stratégique. Vous reconnaissez-vous dans la démarche de l’un ou l’autre ?
Au-delà des affrontements de personnes, il y a eu en effet deux lignes politiques. D’un côté, avec Jean-François Copé, le choix de l’affrontement, du clivage, de l’excitation des passions. De
l’autre, avec François Fillon, l’affirmation que le rassemblement du pays est la voie à suivre, qui correspond à une vision plus gaulliste de l’avenir national. Évidemment, je suis plus proche de
cette ligne de rassemblement. Pas par esprit évangélique qui voudrait que tout le monde s’aime, mais parce que nous traversons la crise la plus profonde de notre histoire récente et que nous ne
pourrons pas trouver de réponse si nous en restons au jeu de rôle qui veut que l’opposition critique et combat tout ce que propose le pouvoir, et réciproquement.
On a l’impression que le monde des décideurs politiques ne prend pas la dimension de la gravité et de l’urgence de la situation de notre pays. Certes François Hollande, lors de sa récente
conférence de presse, a tracé des perspectives que j’ai approuvées. Faire d’importantes économies, soutenir les entreprises, favoriser la productivité, la créativité, une politique de l’offre
plutôt que la distribution d’argent public, ces grands choix sont justes et doivent être soutenus. Mais où sont aujourd’hui les décisions correspondantes ? Vingt milliards d’économies ont été
annoncés. Mais dans quels secteurs ? On ne peut pas attendre pour le savoir !
Les déclarations d’Arnaud Montebourg sont contre-productives. Dire « nous ne voulons plus de Mittal en France », parlant d’un groupe qui représente 20 000 emplois sur notre sol, c’est
menacer à terme ces emplois. Ce que nous devrions chercher, ce n’est pas que Mittal et consorts partent, mais qu’ils créent plus d’emplois ! Et l’image que cela donne aux investisseurs,
français, européens ou extra-européens, ne peut qu’en être dégradée, gravement. Cette méthode d’invectives me paraît profondément décalée et dangereuse par rapport aux exigences de la crise
française !
Et la manière dont est « gérée » l’affaire de Notre-Dame des Landes est elle aussi symptomatique des ambiguïtés sur lesquelles s’est construite la majorité et des tensions qui la
menacent.
Etes-vous prêt à vous impliquer dans le champ de l’opposition? Et à quelles conditions ?
Je revendique la liberté des non-alignés. La nécessité des temps, c’est qu’au lieu de complaire dans l’affrontement perpétuel, on sache coopérer pour sauver le pays. Je suis le
représentant d’une sensibilité qui a laissé derrière elle tout caractère systématique d’opposition ou d’approbation automatiques. Je revendique ma liberté de parole, quand j’approuve, je le dis
clairement et quand je suis en désaccord je l’affirme de la même manière. Je ne laisse rien ignorer de ce que je soutiens, ou de ce que je combats. Et je suis convaincu qu’il existe dans notre
pays une majorité de citoyens pour soutenir une politique réformiste : un plan d’économies plutôt que des impôts, une construction européenne sérieuse dans laquelle les citoyens français
puissent se reconnaître, des institutions qui permettent à tous les grands courants du pays de s’exprimer, le soutien acharné à la capacité de produire des richesses et des emplois, l’impératif
de résultats dans l’éducation nationale. Vous voyez bien que je décris là une politique qui n’est pas celle d’un camp contre l’autre. Je ferai tout pour qu’émerge cette majorité de courage et de
bon sens. Elle existe mais elle ne s’exprime pas publiquement. Dans les conversations privées, nombre de responsables politiques admettent qu’ils partagent le même avis, simplement, quand
il y a un micro, chacun reprend le chemin de la confrontation. La crise de l’UMP peut favoriser la recomposition parce qu’en dépit des oppositions parfois féroces que j’ai pu connaître et dont
j’ai payé le prix, j’ai des relations suivies et confiantes avec des hommes comme Alain Juppé ou François Fillon. Il faut faire triompher l’estime réciproque et la vision commune autour des axes
que la France doit suivre - ce qui exclut la stigmatisation, la violence dont une partie de la droite veut faire son miel.
Vous avez parlé d’impératifs. Mais sur quelles valeurs pensez-vous qu’il puisse y avoir rassemblement ?
J’en identifie trois : la vérité dans le discours politique, une certaine abnégation personnelle des responsables, qui acceptent de prendre les décisions nécessaires même quand, électoralement,
elles comportent le risque de la défaite, enfin l’unité du pays. On peut ajouter autant de justice et de générosité que possible, le système social et de service public n’ayant pas été réformé
comme il devait l’être. Je suis persuadé que l’on peut rendre plus de services avec moins de moyens. Dernier élément, européen de conviction, de passion, je constate le divorce entre les
institutions communautaires et les citoyens - qui n’y comprennent plus rien, qui ne sont informés de rien. C’est un crève cœur et il faudra sur le sujet européen aussi qu’il y ait reconstruction
et réconciliation.
Comment répondre à la dérive populiste?
Les extrêmes, je les combats, mais je n’accepte pas, lorsqu’ils représentent des courants importants, qu’ils soient exclus du parlement. Je pense qu’il faut ne leur faire aucune concession sur le
fond, mais il faut leur donner la représentation à laquelle ils ont droit. C’est toute la question de la loi électorale et de la part de proportionnelle nécessaire. Je ne regarde pas ceux qui
votent pour les partis extrémistes - à droite comme à gauche - comme des étrangers, mais, au sein de la société française, comme le symptôme de nos difficultés et de nos échecs. Mais il ne faut
pas se tromper : en face de ces excès, ce qui est équilibre, volonté, courage et raison n’est pas défendu comme il devrait l’être.
A droite, une nouvelle force est née. Qu’est ce qui vous distingue de l’UDI ?
Le désaccord que j’ai avec les responsables de l’UDI est bien connu. J’étais en désaccord lorsqu’ils ont créé l’UMP il y a dix ans et s’y sont inscrits pendant une décennie. Pour moi, aujourd’hui
comme hier, le centre, c’est la volonté de dépasser la guerre de la droite contre la gauche et de voir les grandes sensibilités du pays s’accorder sur les réformes indispensables à la survie du
pays.
Quelles sont vos positions sur le mariage pour tous, la bioéthique et la fin de vie ?
J’ai proposé une démarche originale de reconnaissance des couples homosexuels. La création d’un statut qui reconnaisse la pérennité de ces couples, y compris devant l’état-civil et les droits qui
y sont attachés. Et j’ai suggéré que ce statut porte le nom d’union, pas le nom de mariage. Ainsi on tient compte de la demande de droits des homosexuels et en même temps de la sensibilité de
ceux qui, aussi dignes que les autres, juifs, musulmans, chrétiens, ou simplement traditionnels ne veulent pas couper le lien avec notre héritage, avec notre histoire collective, ceux qui
affirment que le mariage est l’alliance d’un homme et d’une femme. Ce statut d’union, c’est un chemin de réconciliation, et pas l’affrontement exaspéré qui est en train de s’imposer.
Quant au statut de l’embryon, j’ai été très heureux que l’on attribue le prix Nobel à deux chercheurs, Gurdon et Yamanaka, qui viennent de produire des cellules souches totipotentes à partir de
cellules adultes de peau humaine. Cela permet de ne pas traiter l’embryon comme simplement de la matière, et de respecter en lui quelque chose d’unique et de précieux, relié d’une certaine
manière à notre humanité. Et cela permet en même temps de penser à l’avenir à guérir des maladies génétiques pour l’instant sans solution. En même temps, j’ai été impressionné d’apprendre que
Yamanaka demandait qu’on réfléchisse à ce que signifierait la production par ce moyen de cellules de reproduction masculines et féminines. Il se comporte à la fois comme un grand savant et un
homme d’éthique et c’est ainsi qu’il me semble juste d’aborder ces questions.
Pour la fin de vie, nous disposons depuis plusieurs années d’une loi remarquable, la loi Léonetti, qui a été votée à l’unanimité de l’Assemblée Nationale - un tour de force qui révèle un travail
de réflexion très profond. Cette loi apporte les réponses dont nous avons besoin. Je voudrais juste qu‘on l’applique et qu’on en informe davantage le personnel soignant.
"Je ferai tout pour qu'émerge la nécessaire majorité de courage et de bon sens"