François Bayrou était l'invité de Michel Cardoze, sur Sud Radio, mercredi 13
avril.
Le président du Mouvement Démocrate a qualifié "les tentatives" de Jean-Louis Borloo de "fausse-monnaie" et défendu pour sa part "l'idée d'un Centre indépendant, qui vise à un véritable
changement".
SR : Alors on a quand même l’impression François Bayrou que vous êtes cerné : Jean Louis Borloo d’un côté, Nicolas Hulot de l’autre. Est ce que vous vous avez toujours envie d’être l’incarnation
de l’alternative et du changement au centre ?
François Bayrou : J’aime bien Michel Cardoze comment vous posez des questions. C’est pas envie, c’est nécessité. Et c’est pas hésitation, c’est certitude. Pourquoi ? C’est très simple. Si ce mot
, cette idée du centre… Je n’aime pas qu’on réduise ce courant politique uniquement au centre, parce qu’à mon avis il est plus large. Mais si ce courant a un sens, c’est évidemment pour être
indépendant et pour changer les choses. Or, les tentatives actuelles, qui d’ailleurs ne dureront pas autant que les contributions, ces tentatives actuelles elles visent, un, à ne pas changer les
choses et deux à empêcher ce courant politique d’être indépendant. Or vous verrez que au fur et à mesure que passeront les semaines et les mois, les électeurs vont imposer de ne pas être trompés
sur la marchandise. Tout ça est cousu de fil blanc naturellement. On sait très bien d’où ça vient et où ça va. Mais les électeurs, eux, ce qu’ils veulent c’est des choses qui soient absolument
certaines, ils veulent que leurs voix servent à quelque chose et c’est ce qu’ils imposeront au fil du temps. J’emploie comme vous entendez l’indicatif parce que c’est la réalité. J’ai déjà vécu
cette histoire, cette grande histoire des élections présidentielles et je sais, pour l’avoir vécu, à quel point les électeurs eux, ne se trompent pas. Ils choisissent ce qui est
vrai.
SR : Alors je vais aussi vous parlez de Jean Louis Borloo, mais commençons par Nicolas Hulot, candidat aujourd’hui. C’est un vert qui peut vous affaiblir ou un vert avec qui vous aimeriez faire
un bout de chemin ?
François Bayrou : Non je pense que Nicolas Hulot est quelqu’un qui s’est beaucoup investi. Je pense qu’il croit à un certain nombre de choses. En tout cas c’est ce que je veux imaginer. Mais ce
que je sais c’est que l’élection présidentielle c’est tout à fait autre chose. La responsabilité politique c’est tout à fait autre chose. Les pièges qui vont être déployés devant sont aussi tout
à fait autre chose. Je ne suis pas certain qu’on s’improvise ou qu’on puisse entrer dans cette responsabilité de but en blanc.
SR : Qu’est ce qui vous différencie de Jean Louis Borloo ? Ou, si je pose la question autrement, qu’est ce que Jean Louis Borloo au niveau des affaires suprêmes ferait et que vous vous ne feriez
pas ? Et inversement : qu’est ce vous feriez et qu’il ne ferait pas ?
François Bayrou : Ecoutez, il suffit de regarder les années qui viennent de s’écouler. Jean Louis Borloo était un des piliers du gouvernement. Il en était le numéro deux. Pendant neuf ans, cinq
ans de Chirac et quatre ans de Sarkozy. Il n’a jamais trouvé à exprimer une seule réserve sur les décisions aussi incroyables et injustes qui étaient prises. Je pense au bouclier fiscal, à la
privatisation des autoroutes, à laquelle je me suis beaucoup opposé. Jamais une réserve. Et vous savez bien que quand vous avez neuf ans, comme ça, adhéré, soutenu ou applaudi avec des mots qui
étaient des mots incroyablement flatteurs à l’égard de ceux qui étaient en place et du pouvoir de Nicolas Sarkozy. Évidemment, il y a une question d’authenticité ou de crédibilité qui se pose.
Autre exemple : je vous assure que si j’avais été au pouvoir, en situation de responsabilité, l’affaire Tapie n’aurait pas eu lieu. Je n’aurai pas accepté qu’on spolie comme ça les Français de
peut être 250 millions d’euros qu’on leur a pris dans leur poche de contribuable pour le donner à un intérêt dont vous savez ce que j’en pense et que maintenant la Cour des comptes écrit. Ça ne
se serait pas produit. Évidemment vous savez que Jean Louis Borloo lui a soutenu cette entreprise. Vous voyez qu’il y a des différences très importantes. Et pour le futur, avec moi ou avec le
courant que je représente, nous devons changer. C’est un impératif de changer la manière dont on gouverne la France, dont on associe les sensibilités diverses, dont on fait que au fond chacun des
français se retrouvera plus ou moins dans l’estime qu’il porte au pouvoir, dans son honnêteté. Ça ne sera pas un pouvoir qui favorise les uns au détriment des autres. Ça sera un pouvoir qui
permettra à la France de passer les temps difficiles qui nous attendent.
SR : Alors prenons un exemple : la question de la laïcité. On en a beaucoup parlé, elle a été instrumentalisée à la fois par le FN, par Mr Copé avec son débat qui visait en fait l’islam. Et
aujourd’hui on apprend, ya une information qui circule, il paraît que Mr Nicolas Sarkozy demanderait que certains concours qui tombent par exemples les jours de fêtes juives, puissent se dérouler
à des horaires adaptées, selon les croyances. Est ce que c’est de la laïcité ou du communautarisme ?
François Bayrou : Oh c’est plus que ça, je ne sais pas, la recherche de plaire à des petits groupes. En vérité, vous le voyez, la laïcité, ça ne se divise pas. Vous ne pouvez pas en même vous
tourner vers les musulmans les plus intégristes diront les uns, pratiquants diront les autres, en leur interdisant un certain nombre de pratiques et en même temps aménagé les concours en secret
sans en rien dire à personne, pour que certains candidats puissent passer les concours de nuit. Ca n’a pas de sens. Ce n’est pas responsable. Ce n’est pas une manière de s’adresser à un pays
comme l’unité, c’est une manière de le découper en tranches : les uns favorisés, les autres stigmatisés. Et ceci, pour moi en tout cas, ça n’est pas acceptable. La communauté de l’éducation
nationale ne l’acceptera pas. Et tous ceux qui croient en France, au fond qu’il y a des principes qui nous permettent d’être dans le même pays, de vivre dans ce pays et de nous respecter malgré
les différences, tous ceux là ne l’accepteront pas. C’est une décision dangereuse et, à mon sens, inquiétante pour une certaine conception du pouvoir.
SR : La justice c’est un centriste que l’on n’entend pas beaucoup, qui est en charge de la garde des sceaux au gouvernement Fillon. Les jurés populaires en première instance en correctionnelle,
ça suit son cours et je ne sais pas quelle est votre opinion, en tout cas je vous la demande. Et puis il y a la motivation annoncée des verdicts aux assises, sans compter une loi sur la garde à
vue qui a été votée hier et dont on dit qu’elle va être inapplicable.
François Bayrou : Alors, un, Michel Mercier est quelqu’un de bien. Et je crois que désormais dans le monde de la justice, cette idée s’est imposée ou a fait son chemin. Il est quelqu’un de bien
avec un président de la République qui lui demande de faire un certain nombre de choses dont je suis certain qu’elles ne lui seraient pas venues spontanément à l’esprit. On va différencier les
sujets que vous avez abordés. Premier sujet : la motivation des jugements aux assises. Je trouve que c’est défendable parce que quand vous jugez de la vie de quelqu’un qui va passer des années en
prisons ou au contraire, qui va être libéré, c’est normal au fond de demander quelles sont les raisons. Deuxièmement, il y a une autre idée qui est celle de mettre des assesseurs, des citoyens
auprès des juges chargés de l’application des peines de libérer les détenus dangereux ou pas. Là aussi ça peut se justifier. Pensons seulement que rien que ces deux décisions vont beaucoup
alourdir une fois de plus le financement de la justice et qu’on ne sait pas avec quels moyens ça se fera. Dernier point, les jurés au tribunal correctionnel ça ne se fera pas. On nous dit que ça
se fera. Ça ne se fera pas et c’est impossible. Et si ça se faisait cela présenterait des inconvénients lourds et graves. Pourquoi ? parce que juger… il s’agit de 40 000 affaires par an. Je vous
rappelle que le nombre de jugements en Cour d’assises, c’est 2600. Donc on multiplie par plus de 10, par 15 le nombre de citoyens à tirer au sort, à indemniser. Et surtout, quand vous êtes aux
assises, vous avez le temps d’entrer dans une affaire des jours et quelque fois des semaines. Là c’est quelques minutes. Il faut avoir le temps et la disponibilité pour lire les dossiers, faut
connaître la jurisprudence, faut connaître le droit et ma certitude c’est que cette affaire est annoncée à grands sons de trompes : elle ne se fera pas.
SR : La presse anglo-saxonne semble adouber Nicolas Sarkozy au rang d’un Bush bottant les fesses, c’est une expression anglo-saxonne, des dictatures.
François Bayrou : C’est même une expression de chez nous quelques fois.
SR : Au fond, la fin de Gbagbo et, si elle survenait, celle de Kadhafi, est ce que ça pourrait sauver Sarkozy du désastre ?
François Bayrou : Je crois que ça n’a pas de lien. Je pense qu’il fallait mettre un terme à la guerre civile en Côte d’Ivoire. Je pense que Gbagbo avait la responsabilité du déclenchement de la
guerre civile. Il suffit de se représenter par l’esprit, et ça fera beaucoup de chagrin à beaucoup de gens, ce que serait la Côte d’Ivoire aujourd’hui si il y a cinq mois Gbagbo avait dit : « je
croyais l’emporter dans cette élection, j’ai donné ce que j’avais de meilleur, je n’ai pas été élu, je souhaite bonne chance à Ouattara et j’aiderai mon pays du mieux que je le pourrai ». Vous
auriez la paix civile et la prospérité. Au lieu de ça vous avez aujourd’hui une fracture incroyable du pays, vous avez, on l’a entendu sur plusieurs antennes, des chefs d’entreprise français
installés depuis longtemps qui disent on a perdu la confiance. Bref, c’est un drame épouvantable dont Gbagbo porte la responsabilité. Alors, il a pris, Nicolas Sarkozy, à la demande des Nations
Unies, la décision de donner un coup de pouce, peut être plus qu’un coup de pouce, au sein de cette affaire. De ce point de vue-là moi je ne lui ferai pas de critique. J’essaie d’être objectif
dans la manière dont je regarde ces choses, je ne ferai pas de critique. Je dis seulement que maintenant il appartient à Alassane Ouattara et à ceux qui l’ont aidé, de reconstruire la paix civile
et la compréhension et peut être l’amnistie en Côte d’Ivoire.
SR : Le programme socialiste vient d’être publié, les candidats ne sont pas encore sortis du bois, en tout cas pas tous. Il y en a un qui n’est pas encore sorti du bois : il est à Washington. En
vue de la présidentielle l’année prochaine, est ce que vous aimeriez plutôt discuter avec DSK alors que vous n’avez pas discuté avec Ségolène Royal il y a cinq ans ?
François Bayrou : Le but quand on se présente à une élection présidentielle ça n’est pas de rallier, c’est au contraire de convaincre et d’être présent au deuxième tour pour l’emporter. J’ai été
très près comme vous le savez, en 2007, de réussir. Et ça sera évidemment le but qu’il faudra suivre pour la prochaine élection présidentielle. Je n’ai pas été convaincu du tout par le programme
du PS, parce qu’au fonc jamais dans notre histoire le pays n’a été dans une situation, la France n’a été dans une situation aussi inquiétante comme vous le savez et déséquilibrée et dangereuse.
On le verra dans les mois qui viennent. Alors présenter un programme qui dit « mais c’est très simple mes enfants ! Il suffit de recruter par l’Etat, 300 000 personnes ici, 10 000 personnes
là-bas, de créer des postes, d’améliorer… Et les problèmes se règleront comme par magie ». Ce n’est pas vrai. En tout cas, du plus profond de ce que je crois, j’affirme et j’affirmerai que si on
veut entraîner un peuple vers un destin qui le relève et qui en fasse un grand pays et pour les enfants quelque chose qu’ils aimeront, il faut lui dire la vérité. Or la campagne présidentielle,
une fois de plus, elle part pour qu’on ne dise pas la vérité et bien moi je ferai tout ce que je peux pour dire la vérité aux Français.