Des raisons d’espérer
Le résultat fut rude. Certes il était annoncé, martelé, par les sondeurs et les médias
depuis des semaines et des semaines. Mais il n’en reste pas moins que le score de notre Mouvement au soir du premier tour des élections régionales fut pour beaucoup d’entre nous, responsables,
adhérents, ou sympathisants démocrates, un choc.
Écrivant cela, je pense en tout premier lieu à nos candidats. Femmes et hommes, ayant porté nos couleurs, défendu nos valeurs. Engagés, présents, déterminés, malgré les difficultés des temps.
Ayant défendu pendant toute la campagne une vision juste de nos régions et de nos territoires. C’est à leur endroit que la tristesse fut la plus grande. Ils méritaient un vrai succès.
C’est en pensant à eux, et à leurs soutiens, que je veux ici esquisser analyse et perspective.
Dire ce que je crois, et livrer des raisons d’espérer.
L’analyse d’abord. Beaucoup de choses ont été dites, mais il me semble que trois éléments méritent notre attention.
Le premier d’entre eux concerne le très faible nombre de votants. Cette abstention volontaire a été l’expression ultime d’un mécontentement, d’une déception, d’une défiance, d’un éloignement des Français. Une grande majorité d’entre eux est désabusée, ne croit plus ni à la politique, ni aux politiques. C’est un échec pour nous tous. Et c’est un échec pour l’idée régionale. Je fais le pari qu’avec des régions puissantes, autonomes, clairement identifiées, levant l’impôt, nos concitoyens auraient eu le sentiment, justifié, que leur bulletin de vote avait une réelle utilité.
D’ailleurs, ceci nous oblige, nous démocrates, à défendre une autre vision, à l’occasion de la prochaine réforme territoriale. Soyons la voix des territoires, la voix de ceux que l’on n’entend jamais, et qui pourtant sont en première ligne. Je pense en particulier à tous les maires des petites communes. Aucune réforme de notre architecture institutionnelle régionale et départementale ne pourra se concevoir sans eux. L’ambition régionale qui est la nôtre devra intégrer cet impératif : maintenir à tout prix du lien, faire vivre les solidarités.
Le deuxième point que je voudrais aborder est celui du vote extrême. Bien sûr, on pourrait se contenter de dire qu’il est le résultat, d’une part, de la crise économique et sociale, de la montée du chômage, du sentiment de déclassement des classes moyennes, de la peur de l’avenir, et d’autre part, du débat si mal inspiré sur l’identité nationale, ayant rapidement et volontairement dérapé, mélangeant dans un pèle mêle nauséeux immigration, islam, burqa, minarets, insécurité.
Tout cela est vrai. Mais ce vote exprime également autre chose. De plus grave encore. Les classes populaires ne reconnaissent plus du tout leur place dans le débat politique. Elles ont le sentiment que plus personne ne les entend, ne les défend, ne leur prête attention. Elles se sentent délaissées, et plus encore reléguées. La politique n’est plus dans leur monde. Le succès de Jean Lassalle, sa capacité à se faire entendre des petits, doit nous faire réfléchir. Nous devons trouver les mots qui leur parlent, tout en rejetant la démagogie et les facilités de la vulgarité. Aussi difficile qu’il soit à relever, ce défi, j’en suis sûre, est à notre portée. C’est un combat qui en vaut vraiment la peine. Sans confiance populaire, rien de grand n’est possible dans notre pays.
Dernière question enfin, celle du bipartisme. Tout y concourt : les modes de scrutin à dominante majoritaire, la structure d’esprit de ceux qui font et commentent la vie politique française, la volonté des deux partis dominants que sont l’UMP et le PS de ne faire tourner qu’autour d’eux le débat politique afin de conserver le monopole de l’alternance. Pour un très grand nombre de nos concitoyens, le schéma de pensée droite/gauche continue de s’imposer comme référent. C’est pourquoi nos efforts pour faire bouger les lignes ont pu apparaître aux yeux de certains comme la transgression d’un ordre établi. Même si cela a pu nous gêner, tout le monde voit bien que rien de bénéfique pour notre pays ne pourra se faire sans dépasser ces clivages absurdes.
Je voudrais maintenant en venir aux raisons d’espérer.
La première est dans le besoin d’un Centre authentique.
Sauf sans doute en Alsace, les voix du centre ne se sont pas portées sur les candidats de l’UMP. Parce qu’elles ne se retrouvent plus dans une droite débridée, de moins en moins républicaine, de moins en moins démocrate, et de moins en moins sociale. Si nous savons leur parler, renouer le lien, les rassurer, les convaincre, alors nous pourrons sans doute retrouver avec elles le chemin de la confiance.
Le positionnement à venir de l’UMP va nous y aider. Les voix qui s’élèvent en son sein réclament un retour aux « fondamentaux » et aux politiques de droite traditionnelle. Le récent remaniement ministériel vient de nous le confirmer : l’heure est au rassemblement…. des anciens chiraquiens. L’UMP cherche désormais à se redroitiser, pour tenter de ramener à elle une partie de ses électeurs perdus.
De l’autre côté de l’échiquier, l’alliance rouge/rose/verte s’est reconstituée. La gauche française se retrouve dans la même configuration que celle naguère de la gauche plurielle chère à Lionel Jospin. Ce n’est certes pas une bonne nouvelle pour tous ceux qui rêvent depuis des décennies de faire évoluer la gauche française, je pense en particulier aux
sociaux-démocrates. Ce n’est pas non plus une bonne nouvelle pour tous ceux qui aimeraient voir évoluer en profondeur son système de pensée.
Mais il n’empêche, entre une UMP qui regarde vers la droite, et une gauche qui a renoncé à changer, l’espace du Centre existe. À nous de nous en saisir. À nous de le faire fructifier.
Deuxième raison d’espérer : l’analyse que fait François Bayrou des difficultés du pays se révèle profondément juste. Et les faits lui donnent et lui donneront malheureusement raison. Dette, déficit, déséquilibre des comptes sociaux, système de retraites, coût du travail, pouvoir d’achat, école, inégalités sociales, services publics, fiscalité, territoires, institutions, justice, développement durable, intégration, qui ne voit qu’aucune de ces grandes questions ne trouvera sa réponse dans un affrontement bloc contre bloc. Sauf à vouloir différer les choix. Et laisser se détériorer la situation plus encore. Les prochaines échéances seront la dernière opportunité, la dernière chance, pour résoudre ces questions et donner à la France des fondamentaux sains, équilibrés, seuls à même de donner une chance, et d’offrir un avenir aux générations futures. Nous le savons tous : cela sera difficile. Mais nous le savons tous aussi : il n’y a aucune autre alternative possible. L’état du pays imposera des choix courageux. À nous de les défendre. À nous de les incarner.
J’en viens maintenant à notre parti. Et je veux rappeler ceci : s’il y a bien une ambition qui nous anime, nous, fondateurs du Mouvement démocrate, c’est bien celle de faire émerger, de façon durable, une grande force politique du centre, autonome et indépendante, respectée et aimée. Une force politique qui continuera d’exister longtemps après nous. Une force politique qui changera en profondeur le paysage politique français. Le modernisera. L’apaisera. C’est pour beaucoup d’entre nous le combat de toute une vie.
Pour y parvenir, nous avons besoin de temps. On ne construit pas un parti durable en quelques mois ou quelques semaines. Pour construire validement, il faut de la patience, de l’humilité, de la détermination, de la stabilité, et du temps. C’est pourquoi je suggère d’inscrire notre réflexion dans une durée que je fixerais volontiers à cinq ans. Cet Agenda 2010-2015, il nous faudra l’écrire ensemble. En fixant clairement les objectifs à atteindre, les moyens en découlant tout naturellement. Pour ma part, je veux livrer ici quelques unes des priorités que je crois vitales.
Première priorité : nous doter d’un encadrement solide. Tout parti politique, tout mouvement politique, a vitalement besoin de cadres. C’est une vérité que nous devons rappeler sans cesse. Un parti politique, ce sont d’abord des hommes et des femmes à partir desquels on peut patiemment construire. Il n’y aura pas de construction du Mouvement Démocrate sans cadres, formés et responsables. Ce sont eux qui doivent être l’ossature future du Mouvement. C’est à partir d’eux, et en particulier
de leur action sur le terrain, au plus près des Français, que l’on pourra reconstruire.
Deuxième priorité : préparer dès maintenant les prochaines échéances électorales. Je le dis clairement, les bons candidats ne s’improvisent pas. Là aussi, le temps est vital. Dans les cinq années qui viennent, nous aurons (hormis la présidentielle) des cantonales et des sénatoriales en 2011, des législatives en 2012, des régionales, des européennes et des municipales en 2014. Mettons nous à la recherche, dès cette année, des candidats aux trois prochaines élections (cantonales, sénatoriales et législatives). Faisons le, sans exclusive, et dans un esprit d’ouverture à l’égard d’élus locaux ou de personnalités locales se sentant en proximité avec nous. Tissons des liens durables avec eux et soutenons-les dans le temps. A nous également de former et d’assister de jeunes candidats prometteurs, issus de nos rangs. Nous avons un vivier : les dernières élections, municipales et régionales, ont vu l’émergence de nouveaux talents. Pour autant que le parti se mette tout entier au service de ces objectifs, nous y arriverons.
Troisième priorité : se vivre comme une force de transformation de la société française. Si nous nous reconnaissons dans l’analyse des difficultés du pays, alors cela nous impose une révolution culturelle, économique et sociale dans notre manière de penser, et dans les réponses que nous devons apporter aux Français. Davantage d’audace, de créativité. Dans les temps de diète budgétaire, la justice doit être requise, et les priorités clairement établies. Nous ne pouvons plus continuer à vivre au dessus de nos moyens. Il nous faut donc penser l’avenir différemment.
Quatrième priorité : muscler notre expression. Certes nous sommes des modérés, au Centre, et heureux de l’être. Mais les temps sont exigeants. Nous devons renouer avec une liberté, et un bonheur d’expression qui doivent donner envie à ceux qui nous écoutent de nous rejoindre. Je proposerai volontiers qu’une équipe de « sabras » soit mise en place et s’essaye à l’expression publique sur tous les sujets en résonance avec la vie des français. C’est un exercice difficile, ça ne se fera pas du jour au lendemain. Mais il n’empêche, c’est un exercice obligatoire.
Cinquième priorité : faire émerger une génération nouvelle. Là aussi, ce n’est pas facile, car les générations spontanées n’existent pas. Il faut du travail, et du temps. Mais pour tous ceux, dont je fais partie, qui veulent que ce Mouvement Démocrate trouve sa pleine existence, et soit une force avec laquelle la vie politique française devra compter dans les trente années qui viennent, c’est une obligation. C’est un devoir. Si nous savons transmettre, aider, former, une génération nouvelle, généreuse et responsable, alors nous serons à la hauteur. C’est sans doute cela la plus grande des exigences.
Marielle de SARNEZ
Députée européenne
Vice-présidente du Mouvement
Démocrate