François Bayrou a récemment déclaré que, sous l'influence de Nicolas Sarkozy, la France était en train de changer de régime politique. La réintégration de la France dans l'Otan ne serait que la
partie visible d'un processus plus ample visant à démolir insidieusement notre vieux modèle républicain et à s'inspirer de la démocratie nord-américaine. L'accusation mérite examen.
La première inflexion concerne notre modèle de laïcité, longtemps présenté comme la marque de fabrique par excellence du républicanisme français. Il serait malmené de deux façons. D'une part,
l'importation en France des politiques, dites de « discrimination positive », permettant aux éléments les plus méritants des « minorités visibles » d'intégrer les
« grandes écoles » ou la haute administration, sans nécessairement franchir les étapes officielles. Pour beaucoup, c'est le principe même du concours républicain et plus largement
de l'égalité de tous devant la loi qui serait ainsi remis en cause.
D'autre part, le plaidoyer du Président en faveur d'une « laïcité positive », qui ferait une lecture plus souple du principe de séparation de l'Église et de l'État, encourageant
notamment les grandes religions à prendre leur place dans le débat public. Comment ne pas sentir l'influence d'un modèle nord-américain qui donne aux « communautés », et notamment
aux églises, un rôle décisif dans l'organisation de la société civile ?
L'évolution la plus nette réside dans la nouvelle vision de l'État et de la société. C'est le modèle issu des grandes réformes de la Libération qui est ici visé. À savoir, un État fort,
déployant ses tentacules sur l'ensemble du territoire, à travers un dense réseau d'administrations publiques et d'entreprises nationalisées, soutenu par une fonction publique légitimée par le
culte du service public.
Un modèle que le gaullisme avait intensifié, en confiant à l'élite administrative le soin d'accélérer la modernisation de la France. Or, à travers le flot des réformes - non-remplacement
d'un fonctionnaire sur deux, révision générale des politiques publiques, rôle attribué à des organismes ad hoc afin de réguler là, la recherche publique, là, l'offre de soins en
milieu hospitalier, loi relative à l'autonomie des Universités... - apparaît une nouvelle conception de l'action publique. Il s'agit de recentrer l'État autour de ses fonctions
essentielles : la justice, la sécurité, l'immigration, la protection des plus faibles (RSA) ; cela, en diluant peu à peu l'administration classique dans une constellation d'agences
semi-autonomes. L'intitulé de la loi dite LRU est révélateur : il s'agit, bien au-delà des seules universités, de diffuser « libertés » et « responsabilités » au sein
d'une société habituée à agir sous le manteau protecteur de l'État central.
On comprend mieux pourquoi la gauche politique et syndicale, et à un degré moindre les héritiers du gaullisme et de la démocratie chrétienne, se montrent véhéments. Ils ont parfaitement
compris que l'enjeu de l'actuel quinquennat était le maintien ou l'abandon progressif d'un modèle politique et social conçu dans l'euphorie de la Libération. Or, la crise économique replace
l'État au centre du débat politique et met en lumière l'importance des filets de protection sociale.
Le problème de fond n'est pas pour autant résolu : le changement de conception que François Bayrou distingue dans la politique actuelle est-il le prix à payer pour le redressement de la
France ou, à l'inverse, la voie assurée de son déclin ?
J. Baudouin
Professeur de science politique à l'université de Rennes 1.