François Bayrou répond aux questions des journalistes des Échos, dans une interview parue ce mercredi 5 octobre.
"Je ne voterai pas le budget. Le voter reviendrait à approuver la politique du gouvernement. Depuis 2007, je la conteste", défend-t-il notamment.
Le forfait de Jean-Louis Borloo est-il une bonne nouvelle pour vous ?
C'est une clarification et toute clarification est utile. Il a fait le constat qu'il était impossible de prétendre incarner une alternative en restant dans la majorité et après avoir été le
numéro deux du gouvernement durant quatre ans.
Voulez-vous lui tendre la main ou reprendre le travail de reconstruction du centre ?
La récupération n'est pas de bon aloi et je ne la pratique pas. Mais la reconstruction du courant central de la vie politique française est nécessaire. Elle est d'ailleurs inéluctable. Elle ne
peut se faire que dans la clarté et sa condition est l'indépendance. C'est la différence que j'ai eue au travers des années récentes avec les responsables des mouvements qui avaient choisi la
majorité : pour eux, comme ils le disent, le centre est à droite. Pour moi, le centre est au centre. Et c'est essentiel car face à la crise la plus grave que notre pays ait connue depuis les
débuts de la Ve République, la majorité nouvelle dont le pays a besoin ne pourra être qu'une majorité centrale, pas la majorité d'un camp contre l'autre.
Quel regard portez-vous sur la primaire du Parti socialiste ?
Une primaire de parti s'impose quand ce parti n'a pas de leader indiscuté. Quand le PS aura choisi son candidat, alors s'engagera la vraie primaire, non pas la primaire d'un parti mais la
primaire du pays. Ce sera, comme prévu par nos institutions, le premier tour de la présidentielle. Et tous les Français y participeront, choisiront entre plusieurs personnalités et plusieurs
projets, sans payer 1 euro et sans faire de proclamation préalable d'adhésion à un camp.
Qu'est-ce qui vous sépare de François Hollande ?
Essentiellement qu'il est le représentant du PS, et ne s'est démarqué ni du programme ni des habitudes de son mouvement. Le PS est prisonnier de beaucoup de mauvaises habitudes et de sectarismes.
Il est malsain pour la France que l'UMP et le PS exercent, tout à tour, le monopole du pouvoir. Songer que le seul Parti socialiste pourrait détenir à la fois l'Elysée, le gouvernement,
l'Assemblée nationale, le Sénat, la quasi totalité des régions et la grande majorité des départements et des villes, invite à y réfléchir à deux fois. Un des enjeux de l'élection présidentielle
c'est de ramener les deux partis dominants des deux dernières décennies à une cure de modestie. Et de faire sa place enfin à une logique non pas partisane mais d'intérêt national. Par ailleurs,
les promesses officielles du PS ajoutées aux promesses personnelles des candidats sont tout simplement insoutenables. Les 300.000 emplois jeunes, l'allocation autonomie pour tous les jeunes, le
retour de la retraite à 60 ans, les 70.000 emplois créés dans l'Education nationale, l'augmentation des budgets, et j'en passe : je vous le dis avec certitude, cela n'est pas tenable et ne se
fera pas.
Croyez-vous que l'UMP puisse choisir un autre candidat que Nicolas Sarkozy ?
Visiblement, la question se pose à beaucoup d'entre eux. Mais la probabilité qu'il se représente reste la plus forte. Et compte tenu de son profil et de son statut de président sortant, je ne
vois pas qui pourrait faire mieux que lui dans son camp.
Tirez-vous une leçon du forfait successif, et pour des raisons différentes, de Dominique Strauss-Kahn, Nicolas Hulot et Jean-Louis Borloo ?
Pour participer à une élection présidentielle, il faut trois choses : représenter un courant politique profond dans le pays, défendre un projet original et s'être construit une sorte de
résolution intérieure à toute épreuve. Sinon, cela devient trop difficile.
Voterez-vous le budget 2012 ?
Non. Le voter reviendrait à approuver la politique du gouvernement. Depuis 2007, je la conteste. Il y a eu le projet de loi TEPA, le bouclier fiscal, des déductions fiscales excessives. Le
gouvernement a laissé filer les déficits. J'étais et je reste en désaccord profond avec ce qui a été fait. Il faut, selon moi, engager une réforme en profondeur comprenant à la fois une baisse
des dépenses budgétaires et sociales et une hausse des recettes. Je suis partisan de la suppression de 20 milliards d'euros de niches fiscales, d'une hausse de 2 points de la TVA, de deux
tranches à 45 et 50 pour cent de l'impôt sur le revenu, d'une taxation accrue des successions importantes et d'une simplification de la fiscalité du patrimoine. Cette dernière devrait être
intégrée à l'impôt sur le revenu, via l'inscription d'un revenu théorique de 0,5 pour cent sur le revenu des patrimoines au delà d'un seuil de 1 million d'euros, avec abattement sur la résidence
principale. Cela permettrait de régler définitivement la question de l'ISF.
Comment jugez-vous l'action de Nicolas Sarkozy face à la crise ?
Ce qui est le plus frappant, c'est son manque de lisibilité. Il ne s'exprime pas sur la crise. Il aurait fallu un Roosevelt ou un Mendès-France qui vienne au moins chaque semaine expliquer aux
Français ce qui se passe et vers où on peut aller. Mais lui ne dit rien. Même lorsqu'il rencontre des succès indiscutables comme sur la Libye, il ne s'adresse pas au pays. Il est dans l'erreur
contemporaine qui laisse croire que seule l'image compte. Or la vertu démocratique consiste à considérer les citoyens comme des êtres responsables, à échanger avec eux, pas à faire des
romans-photos.
Que feriez-vous au pouvoir ?
Je suis résolument contre tout défaut même partiel de la Grèce qui signifierait, pour tous les investisseurs, qu'on ne peut plus faire confiance, désormais, à un prêt libellé en euros. Ce serait
la défiance et nous paierions cette défiance, nous Français en particulier, au prix fort. Je suis donc certain qu'il faut un mécanisme, incluant la BCE et les instances communautaires, qui soit
une gestion partagée de tout ou partie de la dette de la zone euro. D'un côté, une assurance pour faire baisser les taux d'intérêt, de l'autre une discussion sans arrogance avec les pays de la
zone pour aller vers les réformes à conduire. Il faut demander des efforts, mais de manière compréhensive et réaliste. Aider la Grèce à construire une administration fiscale, lui permettre
cependant d'investir, obtenir un allongement par exemple à trente ans des délais de remboursement, cela c'est possible. Mais imposer à la Grèce des sacrifices constamment aggravés, par oukases,
c'est amener le peuple grec au rejet et à la révolte. Pour l'instant cet équilibre n'est pas trouvé.
Quelle est votre priorité économique ?
Il faut ordonner toute la politique du pays autour de deux objectifs centraux : produire et instruire. En économie, le grand débat et le grand effort national, l'obsession nationale doit être de
retrouver les chemins du produire. Et ce n'est pas l'Etat qui produira, ce sont les entreprises. On doit les aider à reconquérir les secteurs de production abandonnés. Donc leur simplifier la
vie, les soutenir. On doit travailler sur la vie sociale, les relations entre syndicats et entreprises. Sur le droit du travail. Sur l'image de marque de la France. Cessons de bercer les citoyens
avec les propositions lunaires qui prétendent qu'il faut avant d'agir réformer le capitalisme international, mettre sous tutelle les banques ou sortir de l'euro. Tout cela, ce ne sont que des
leurres. Les problèmes ne viennent pas d'ailleurs, ils sont chez nous : c'est chez nous qu'il faut les identifier et les corriger. D'urgence.
LesEchos.fr
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