Le PS face à ses ambiguïtés
A l'heure de la rénovation au parti, la rupture avec la vulgate marxiste semble enfin prononcée. Mais encore à voix basse.
Cette fois, c'est une certitude : «Le prochain leader du Parti socialiste sera un social-démocrate moderne», affirme Alain Bergounioux, secrétaire national du PS. Ségolène
Royal, Bertrand Delanoë, Dominique Strauss-Kahn ? Peu lui importe. Pour cet historien, compagnon de route de Michel Rocard, l'essentiel est ailleurs : le vieux parti, né en 1905, s'apprête
enfin à assumer à sa tête la rupture avec le marxisme. Fini, les circonlocutions d'un François Mitterrand qui puisait son pouvoir dans l'ambiguïté de son discours. Fini, la schizophrénie d'un
Lionel Jospin recordman des privatisations à Matignon mais soucieux de garder la spécificité des socialistes français face aux travaillistes anglais de Tony Blair. Fini, surtout,
l'insupportable habileté tacticienne de François Hollande, plus prompt à maintenir la cohésion d'un parti divisé que d'affirmer la conversion évidente de ses élites à l'économie de marché.
«Une conversion pragmatique, mais jamais clairement affichée», regrette Alain Bergounioux.
Près de cinquante ans après l'abandon de toute référence à Marx par le SPD allemand au congrès de Bad Godesberg en 1959, treize ans après le renoncement du Labour anglais à la «nationalisation
des moyens de production» en 1994, il était temps. Et l'histoire retiendra que c'est un candidat «conservateur», Nicolas Sarkozy, vainqueur de l'élection présidentielle de 2007 sur un programme
de droite clairement assumé, qui aura, par effet de mimétisme, précipité l'aggiornamento tant attendu des socialistes.
A l'heure de la rénovation, que reste-t-il de Marx au sein du PS ? Avant tout une empreinte. Il ne faut pas oublier que le marxisme est en partie né en France. Grand lecteur des travaux des
socialistes utopistes, comme Auguste Blanqui, l'un des pères de la lutte des classes, Karl Marx s'en inspire pour bâtir sa théorie économique. En 1990, la déclaration de principes socialistes,
sorte de constitution du PS, en porte toujours les traces. Le parti «met le réformisme au service des espérances révolutionnaires», lit-on dans ses dix premières lignes. Selon les
exégètes de la rue de Solferino, siège parisien du PS, de 30 à 40% des militants se réclameraient encore d'une culture héritée du marxisme : attachement viscéral à la puissance publique,
vulgate keynésienne et croyance persistante à la lutte des classes en sont les inébranlables piliers.
Difficile, dans ces conditions, d'entamer une rénovation sans risquer la scission. D'autant que, après avoir laissé éclore un marxisme triomphant dans les années 1970, les dirigeants
socialistes, confrontés à l'exercice du pouvoir, sont bien en peine de lui trouver un projet de substitution. «Le Parti socialiste a vraiment rompu avec Marx en 1983», affirme le
fondateur de la LCR, Henri Weber, député européen. Après deux premières années de mandat Mitterrand marquées par une grande vague de nationalisations, c'est le tournant de la rigueur. Le Parti
socialiste entre dans sa période gestionnaire. Il ne s'en remettra pas. C'est ce que Laurent Baumel, le nouveau secrétaire national aux études du parti, proche de Dominique Strauss-Kahn,
appelle le «surmoi marxiste du PS». «Parce qu'il a fini par accepter le capitalisme, le parti est régulièrement traversé par des bouffées gauchistes liées à un sentiment de trahison de ses
idéaux», écrit-il en substance dans Rénover le Parti socialiste : un défi impossible ? (éd. Bruno Leprince, 2007). C'est un Laurent Fabius qui tente de surfer sur ces remords en
prenant la tête du non à la Constitution européenne en 2006. C'est un Dominique Strauss-Kahn qui, la même année, entame dans une posture de gauche la course à la candidature socialiste à la
présidentielle, recevant sous les portraits de Jean Jaurès et de Jules Guesde. «Face aux caméras, il peut encore y avoir une langue de bois très marxiste, dit Thomas Philippon, l'un
des jeunes économistes qui ont accompagné la campagne de Ségolène Royal. Mais dans le privé, les dirigeants sont infiniment plus modernes.» Henri Weber confirme : «Chez nous, plus
personne n'est pour la socialisation des moyens de production ou la conduite de l 'économie parle Plan.» Présentant leur manifeste pour la rénovation le 4 octobre, les amis de DSK le
proclament : «Nous voulons faire du PS un parti social-démocrate qui assume le compromis avec l'économie de marché.» Même Laurent Fabius a amorcé son recentrage, prônant IV
économie sociale-écologique de marché».
Malgré l'influence intellectuelle et sociale de l'extrême gauche, le PS a donc choisi d'en finir avec le folklore marxiste. Mais pas avec Marx. «Son analyse du capitalisme reste
utile», dit Henri Weber. Un avis partagé par Alain Bergounioux. «Le marxisme n'a pas apporté la bonne réponse aux dérives du capitalisme que sont l'injustice ou une certaine forme
d'insécurité. Mais il a posé les bonnes questions.» Le mot de la fin ? Il revient à Pierre Rosanvallon, l'un des pères de la deuxième gauche, qui, dans Le Nouvel Observateur,
suggérait en 2002 au PS «de redevenir marxiste pour décrypter avec précision les nouveaux modes de production et d'organisation».
Daniel Fortin
Challenges.fr