
Nous sommes le 8 mai 1950. Il est environ 18 heures. Dans le fameux salon de l'Horloge du Quai d'Orsay, un homme s'avance devant la centaine de
journalistes présents. Il s'agit de Robert Schuman ministre des Affaires étrangères de la République
française depuis 1948.
Ce soir-là, le ministre MRP, qui sera surnommé le "Père de l'Europe" s'apprête à lire ce qui deviendra la "déclaration Schuman" où est annoncée la création de la Communauté européenne du
charbon et de l'acier (CECA).
Ce texte est considéré comme l'acte fondateur de la construction européenne. Le 9 mai est devenu à la suite d'une décision du Conseil européen en 1985 la journée de l'Europe.
C'est l'un des 5 symboles de l'Union, qui, aux côtés du drapeau, de l'hymne, de la devise et de la monnaie unique (l'euro), identifie l'Union européenne en tant qu'entité politique.
Déclaration liminaire
Messieurs, Il n'est plus question de vaines paroles, mais d'un acte, d'un acte hardi, d'un acte constructif. La France a agi et les conséquences de son action
peuvent être immenses. Nous espérons qu'elles le seront. Elle a agi essentiellement pour la paix. Pour que la paix puisse vraiment courir sa chance, il faut, d'abord, qu'il y ait une Europe. Cinq
ans, presque jour pour jour, après la capitulation sans conditions de l'Allemagne, la France accomplit le premier acte décisif de la construction européenne et y associe l'Allemagne. Les
conditions européennes doivent s'en trouver entièrement transformées. Cette transformation rendre possibles d'autres actions communes impossibles jusqu'à ce jour. L'Europe naîtra de tout cela,
une Europe solidement unie et fortement charpentée. Une Europe où le niveau de vie s'élèvera grâce au groupement des productions et à l'extension des marchés qui provoqueront l'abaissement des
prix.
Une Europe où la Ruhr, la Sarre et les bassins français travailleront de concert et feront profiter de leur travail pacifique, suivi par des observateurs des Nations
Unies, tous les Européens, sans distinction qu'ils soient de l'Est ou de l'Ouest, et tous les territoires, notamment l'Afrique qui attendent du Vieux Continent leur développement et leur
prospérité.
Voici cette décision, avec les considérations qui l'ont inspirée.
La déclaration du 9 mai 1950
"La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.
La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus
de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre.
L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d'abord une solidarité de fait. Le
rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée : l'action entreprise doit toucher au premier chef la France et
l'Allemagne.
Dans ce but, le gouvernement français propose de porter immédiatement l'action sur un point limité, mais décisif :
Le Gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande du charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation
ouverte à la participation des autres pays d'Europe.
La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la
Fédération européenne, et changera le destin des régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.
La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement
impossible. L'établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments
fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique.
Cette production sera offerte à l'ensemble du monde, sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au progrès des œuvres de paix.
L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles : le développement du continent africain.
Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique et introduit le ferment d'une
communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes.
Par la mise en commun de production de base et l'institution d'une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l'Allemagne et les pays qui y
adhéreront, cette proposition réalisera les premières assisses concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix.
Pour poursuivre la réalisation des objectifs ainsi définis, le gouvernement français est prêt à ouvrir des négociations sur les bases suivantes.
La mission impartie à la Haute Autorité commune sera d'assurer dans les délais les plus rapides : la modernisation de la production et l'amélioration de sa qualité ;
la fourniture à des conditions identiques du charbon et de l'acier sur le marché français et sur le marché allemand, ainsi que sur ceux des pays adhérents ; le développement de l'exportation
commune vers les autres pays ; l'égalisation dans les progrès des conditions de vie de la main-d'œuvre de ces industries.
Pour atteindre ces objectifs à partir des conditions très disparates dans lesquelles sont placées actuellement les productions de pays adhérents, à titre
transitoire, certaines dispositions devront être mises en œuvre, comportant l'application d'un plan de production et d'investissements, l'institution de mécanismes de péréquation des prix, la
création d'un fonds de reconversion facilitant la rationalisation de la production. La circulation du charbon et de l'acier entre les pays adhérents sera immédiatement affranchie de tout droit de
douane et ne pourra être affectée par des tarifs de transport différentiels. Progressivement se dégageront les conditions assurant spontanément la répartition la plus rationnelle de la production
au niveau de productivité le plus élevé.
A l'opposé d'un cartel international tendant à la répartition et à l'exploitation des marchés nationaux par des pratiques restrictives et le maintien de profits
élevés, l'organisation projetée assurera la fusion des marchés et l'expansion de la production.
Les principes et les engagements essentiels ci-dessus définis feront l'objet d'un traité signé entre les Etats. Les négociations indispensables pour préciser les
mesures d'application seront poursuivies avec l'assistance d'un arbitre désigné d'un commun accord : celui-ci aura charge de veiller à ce que les accords soient conformes aux principes et, en cas
d'opposition irréductible, fixera la solution qui sera adoptée. La Haute Autorité commune chargée du fonctionnement de tout le régime sera composée de personnalités indépendantes désignées sur
une base paritaire par les Gouvernements ; un Président sera choisi d'un commun accord par les autres pays adhérents. Des dispositions appropriées assureront les voies de recours nécessaires
contre les décisions de la Haute Autorité. Un représentant des Nations Unies auprès de cette Autorité sera chargé de faire deux fois par an un rapport public à l'O.N.U. rendant compte du
fonctionnement de l'organisme nouveau notamment en ce qui concerne la sauvegarde de ses fins pacifiques.
L'institution de la Haute Autorité ne préjuge en rien du régime de propriété des entreprises. Dans l'exercice de sa mission, la Haute Autorité commune tiendra compte
des pouvoirs conférés à l'Autorité internationale de la Ruhr et des obligations de toute nature imposées à l'Allemagne, tant que celles-ci subsisteront."