Paris-Match : Dans quel état d'esprit abordez-vous cette rentrée ?
François Bayrou : Préoccupé et déterminé. Les Français sont inquiets. Les injustices s'aggravent. L'éducation, l'emploi et même la sécurité reculent ou fond du
surplace. Les divisions montent à l'intérieur du pays, alors qu'on aurait grand besoin d'un climat de respect mutuel et d'entente. Tout cela fait que le gouvernement et la majorité sont sens
dessus dessous avec des ministres pré-licenciés, d'autres qui pleurent des larmes amères mais ne bougent pas, d'autres déstabilisés. Il faut sortir de ce climat de décomposition.
Paris-Match : Eric Woerth doit-il démissionner ?
Ce n'est pas seulement un ministre qui est en cause, mais tout un ensemble. Ce qui a été révélé à tout le monde, ce sont les liaisons intimes et dangereuses entre
le pouvoir et le monde des très grands intérêts. Comme s'il y avait deux lois : une pour les privilégiés, l'autre pour les citoyens ordinaires.
Paris-Match : À quelles conditions voterez-vous la réforme des retraites ?
Une réforme est vitale. Laisser croire le contraire, c'est mensonger. Mais on doit l'exiger raisonnable et juste. Passer de 60 à 62 ans, d'ici à 2018, c'est
impopulaire. Pourtant, à mes yeux, c'est raisonnable. En revanche, cibler ceux qui ont eu les carrières les plus perturbées -notamment les femmes qui ont arrêté de travailler pour élever leurs
enfants- en reportant à 67 ans l'âge où on peut faire valoir les annuités acquises, c'est une grave injustice. Si nous parvenons à faire bouger le gouvernement sur ce point, je voterai la
réforme. Sinon je la combattrai.
Paris-Match : Approuvez-vous le "coup de rabot " du gouvernement sur les niches fiscales ?
Parler de coup de rabot sans toucher au bouclier fiscal, c'est se moquer du monde ! La première niche fiscale c'est bien celle-là. La femme la plus riche de France
finit par être proportionnellement moins imposée qu'un salarié moyen ! Pendant ce temps, à l'autre bout de l'échelle, tous les jours le nombre augmente des gens à qui on enlève sans le dire les
aides minimes qu'on leur apportait : veuves, minima sociaux amputés, handicapés en centre d'aide par le travail. Il est temps de dire qu'il n'y a pas de fatalité de l'injustice.
Paris-Match : Vous avez dit du bien de François Fillon ou de Dominique Strauss-Kahn. Est-ce compatible ?
Je revendique la liberté d'estimer même des gens avec qui j'ai des divergences. Et je l'assume. Estimer, cela ne veut pas dire qu'on est d'accord avec tout.
Parfois, ce sont même de graves désaccords. Mais je n'accepte plus le jeu politique stupide qui oblige à dire forcément du mal de tous ceux qui ne sont pas de votre parti ou de votre clan. Et
c'est encore plus vrai dans un pays en crise morale.
Paris-Match : Quelle est votre ligne aujourd'hui ?
Je me bats pour les millions de Français qui ne veulent pas continuer sept ans encore (jusqu'en 2017 !) avec cette pratique du pouvoir, mais qui en même temps ne
veulent pas que la France soit soumis au Parti socialiste dans lequel ils ne se reconnaissent pas ! C'est une toute autre ligne politique : priorité non pas au CAC 40 mais aux PME, relocalisation
de productions qui n'auraient jamais dû partir de notre pays, priorité donnée à l'essentiel, c'est-à-dire à l'éducation, lutte contre la dette, écologie constructive et non de retour en arrière,
établissement d'une démocratie enfin indépendante de toutes les pressions, notamment des réseaux et des puissances d'argent.
Paris-Match : Dominique de Villepin, depuis longtemps, Hervé Morin aujourd'hui, peut-être demain Jean-Louis Borloo veulent représenter le même espace.
Parler d'alternative en siégeant depuis des années au gouvernement, c'est un drôle de torticolis...
Paris-Match : Le sénateur Jean Arthuis veut des primaires allant du Nouveau Centre au MoDem. Qu'en pensez-vous ? Pour proposer un espoir sérieux et pour gagner, il
faudra bien entendu un candidat et un seul.
(c) Paris-Match