La primaire, les alliances et la «majorité centrale»
Comment regardez-vous la primaire du PS et avec qui pensez-vous qu'il serait plus facile de discuter d'un éventuel accord politique: François Hollande ou Martine Aubry?
François Bayrou.- Poser la question en ces termes de ralliement, ce serait accepter l'idée que la vie politique française se résume au duel PS/UMP, et que si l'on n'est pas pour l'un, il faut nécessairement se rallier à l'autre. Or j'ai défendu et je défendrai sans cesse une vision dans laquelle la vie politique française ne doit pas être réduite à un affrontement de la gauche et de la droite, et a fortiori, du PS et de l'UMP.
La France a droit au pluralisme, elle n'est pas condamnée au bipartisme. Il faut sortir de l'affrontement PS/UMP et on ne peut le faire qu'à l'élection présidentielle. Cela a toujours été ma proposition. Aujourd'hui, c'est devenu une obligation. Car la crise impose une politique nouvelle qui ne peut être portée par aucune des deux majorités qu'on nous présente comme obligatoires.
Pourquoi ? Parce que chacune des deux majorités impose d'abord une France coupée en deux. Toute réforme est combattue immédiatement par l'opposition. En temps de crise aiguë, cela rend le gouvernement impossible. Et de surcroît chacun des deux camps est lui-même coupé en deux : la droite, sous pression d'à peu près la moitié de ses soutiens, est tentée par des thèmes les plus extrêmes, sortir de l'euro et chasser les immigrés. Et la gauche, à peu près pour 50 % des siens, nous annonce la démondialisation. Ces illusions dangereuses sont incompatibles avec la politique qu'il faut suivre.
Il n'y a qu'une majorité nécessaire pour le pays, une majorité à mes yeux inéluctable, c'est la majorité centrale. Dans le moment que nous vivons, cette majorité, qui unira le centre gauche et le centre droit, est la seule à même de remplir les trois objectifs qui me paraissent nécessaire pour la nation : produire, instruire et construire une démocratie digne de ce nom.
À l'élection présidentielle, chaque candidat se présente avec ses trois différences : sa personnalité, son projet et sa majorité. La majorité qui est la mienne, que j'appelle majorité du courage, est une majorité centrale.
Justement, dans le cadre de cette «majorité centrale» que vous défendez, cette question a tout son sens: qui des candidats socialistes, dont vous avez dit de certains qu'il y avait des compatibilités d'idées, notamment avec Manuel Valls, donc qui, de Hollande ou Aubry, vous semble le plus proche – ou le moins éloigné – de vos idées?
Je n'ai pas à choisir entre les deux candidats. Quand on a abordé la question des causes de la crise aiguë dans laquelle la France se trouve, on a cherché des boucs émissaires, d'autant plus commodes que personne ne les identifie: les banques ou les marchés financiers. Tout cela fait que l'attention publique ne se porte pas sur les vraies questions, les vraies faiblesses du pays, les raisons qui expliquent que la France ne produit plus, que les ressources du pays sont dirigées en hémorragie continue vers les économies qui nous entourent.
Voilà pour moi la thèse principale qui devra être celle de la majorité centrale: les problèmes ne viennent pas de l'extérieur du pays, mais de chez nous. Chercher les problèmes à l'extérieur, c'est détourner l'attention des vraies questions.
Ce n'est pas ce que disent Martine Aubry et François Hollande...
Pour des raisons électorales, ils ont accrédité tous deux les affirmations de Montebourg et s'en sont fait l'écho. Tout cela risque de détourner le pays des véritables choix, des décisions à assumer. Tous les pays qui nous entourent ont la même monnaie, les mêmes banques que les nôtres. Or nous sommes en grave déficit avec chacun d'entre eux : Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas.
Est-ce que les écologistes d'EELV peuvent être dans cette majorité centrale, quand on voit leur engagement européen et leur action parlementaire?
Pour la moitié d'entre eux, sans aucun doute. La sensibilité Cohn-Bendit me paraît réaliste. Mais ce qui me semble se développer majoritairement chez les Verts, c'est une idéologie d'évitement des réalités du pays. Le fond du débat qui sépare le clan Cohn-Bendit du clan altermondialiste, c'est précisément ce sujet-là.
Je me permets d'insister: je vous parle Hollande, Aubry, Valls, vous me répondez Montebourg.
Je ne vous répondrai pas sur Hollande, Aubry, Valls. Un de mes troubles de ces derniers jours, c'est de voir Hollande et Aubry ramer derrière Montebourg.
Pourquoi dites-vous qu'il faut une majorité centrale du centre droit au centre gauche pour reconstruire ce pays quand vous voyez chaque camp s'organiser, notamment la gauche, sans prendre en compte ce centre?
Il n'y a pas une gauche, mais deux. Parler de «LA» gauche est une illusion, dont Montebourg joue avec maestria. Il y a la gauche responsable qui sait, même si elle ne le dit pas, la dimension des efforts à consentir pour reconstruire le pays. Et il est une autre gauche, qui nous a bercés de l'illusion, avec une partie de la droite, que la dette était sans conséquences, qu'un État était indéfiniment solvable, qu'il suffisait de changer l'ordre économique mondial pour que les choses aillent mieux, qu'au fond nous étions des victimes.
Cette gauche-là se trompe, en tout cas trompe les citoyens. Et la partie de la droite qui pense comme elle se trompe aussi.
La France a tous les atouts pour redevenir un pays créatif, créateur, actif, producteur, éducateur, mais cela ne dépend pas d'une révolution mondiale : cela dépend de nous et ne peut se construire que sur le socle de la lucidité et du courage. À cette lucidité, à cette majorité centrale, on viendra inéluctablement, quel que soit le vainqueur de la présidentielle.
Simplement on y viendra de manière plus simple, saine, franche, loyale, ouverte, plus entraînante, si c'est dans le contrat qui élit le président que si c'est, au contraire, dans une situation de recul après l'échec, probable et très proche, de la majorité qui serait élue sur ce mensonge. C'est en quoi ma proposition est originale. Ce n'est pas du tout un entre-deux entre la gauche et la droite, c'est exactement le contraire. C'est l'affirmation qu'il faut une majorité nouvelle dans le pays.
Et en même temps, vous voyez bien, à gauche et à droite, même si à droite la crise est manifeste, que les dispositifs, thèmes et organisations de campagne sont choisis pour ne pas parler du centre.
Ils ne parlent que de ça en vérité! Martine Aubry dit qu'on ne peut pas lutter contre une droite dure avec une gauche molle, et François Hollande répond «mais c'est vous qui gouvernez Lille avec le centre». Donc cette question est présente dans les esprits. Parce que c'est une question lourde de sens.
L'équation politique qui mettrait dans la même majorité Joly, Mélenchon, Hollande ou Aubry est une tromperie, puisqu'ils sont en désaccord sur l'essentiel: est-ce que les problèmes viennent de nous ou de la mondialisation? S'ils viennent de la mondialisation, il faut convoquer l'ONU, l'OMC, etc., et dans dix ans on y est encore. Simplement, on mettra en accusation les grandes méchantes puissances financières qui ne veulent pas que ça bouge.
Or, j'affirme que ce n'est pas à cause de la mondialisation que notre éducation ne marche pas, que nous ne fabriquons plus d'électroménager ou de textile. Ce n'est pas à cause de la mondialisation que nous sommes en retard sur le photovoltaïque ou la biomasse, c'est parce que nous n'avons pas fait ce qu'il fallait en interne, chez nous, sur notre sol. Commençons donc par chez nous.
Donc avec une gauche fracturée en deux, vous pouvez gouverner avec une partie de cette gauche?
Oui.
Et à droite?
Les élus de l'UMP sont dans l'angoisse de ce qui va leur arriver parce qu'ils sentent bien la désaffection du pays. Un certain nombre d'entre eux regardent du côté de la puissante extrême droite qui pourrait se manifester dans les urnes. Et il y a des gens qui, au contraire, disent: «Au fond, vous aviez raison et en effet les critiques sans concession que vous aviez faites sur les premières années de pouvoir de Nicolas Sarkozy étaient justifiées et peut-être pouvons-nous réfléchir désormais à votre approche, conciliable avec l'état du pays.»
Cette idée de majorité nouvelle avance dans les esprits. La plupart des dirigeants socialistes savent bien qu'ils ne pourront pas gouverner avec la partie radicale de leur majorité, puisque cette gauche de la gauche attend une politique qui ne pourra être suivie. On peut affirmer qu'on va changer le monde, les banques, le capitalisme, les marchés, l'ONU et l'OMC, d'ailleurs dirigée par l'un des leurs, je le rappelle au passage... (il s'agit de Pascal Lamy - ndlr).
Mais la vérité, c'est qu'il faut commencer par s'occuper de la maison, et je rappelle que c'est ça que veut dire le mot «écologie» : s'occuper de la maison.
Expliquez-nous pourquoi il y a cette impossibilité à construire cette majorité centrale?
Parce que personne, depuis des années, ne l'a proposée et ensuite parce que les institutions n'ont jamais été pensées pour permettre le pluralisme. Je rappelle que De Gaulle avait défendu une idée de cet ordre, d'une majorité au-dessus des affrontements partisans. Mais depuis lors, tout cela a été oublié. Alors, quand les choses vont bien, quand ce sont les Trente Glorieuses, quelle importance que le pouvoir passe indéfiniment de la droite à la gauche. C'est un peu plus d'impôts d'un côté, un peu moins de l'autre, un peu plus de redistribution, un peu moins, mais c'est surtout le moyen de changer les équipes, et souvent pour faire la même politique: je me souviens de Fabius expliquant que les impôts pouvaient faire perdre la gauche.
Mais aujourd'hui, on a le devoir de conduire, je le dis dans mon livre, une politique de guerre, car on est exposé à l'étranglement du pays, au fait que plus un jeune ne trouve un emploi. Alors, pour s'attaquer à cela, on a besoin d'une majorité nouvelle. Autrefois on aurait dit d'union nationale. Mais le mot est trompeur car il laisse croire qu'on peut mettre des communistes et des Front national dans un même gouvernement, ce qui n'est pas mon projet. C'est une union de reconstruction, une union du courage. Et c'est la seule issue crédible.
Pour cette majorité centrale, quand commencez-vous à discuter pour la constituer?
Ça ne peut se faire que quand les Français se seront prononcés à l'élection présidentielle, après le premier tour qui sera en vérité le tour décisif. Pas avant, parce que si vous vous enfermez dans des négociations, si vous commencez à envisager les conditions d'un ralliement, si vous acceptez de plier, vous disparaissez du paysage politique.
Vous avez lu ce que disent les observateurs: vous vous rapprocheriez ces derniers mois de Sarkozy et de l'UMP?
C'est aux antipodes de ma démarche et ils le savent bien.
Finalement, à vous écouter, pourquoi n'auriez-vous pas été le 7e homme de la primaire, puisqu'il y avait Jean-Michel Baylet, du Parti Radical de gauche?
Parce que je n'accepte pas le bipartisme, je ne fais pas allégeance à la gauche. Je n'appartiens pas au PS, je dénonce ses ambiguïtés et souvent son sectarisme. Vous croyez que j'aurais fait tout cela, cette décennie de combat, y compris contre des gens que je respecte, pour construire une indépendance, et que je renierai ces années et ces efforts, pour aller dealer avec les uns ou avec les autres ?
Ni de près, ni de loin, ni aujourd'hui, ni demain, je ne dealerai avec qui que ce soit, parce que pour moi, tout doit être clair et transparent aux yeux des Français. Je défends une majorité nouvelle, et je veux donc en débattre contre les deux majorités traditionnelles, qui l'une et l'autre, sont et seront dans une situation d'impasse et d'impuissance.
Contrairement à 2007, vous vous prononcerez pour le second tour?
Si jamais je n'étais pas au 2nd tour, et je ferai tout pour y participer, je me prononcerai.
C'est un regret, une leçon à propos de votre choix de 2007?
En 2007, j'ai annoncé publiquement que je ne voterais pas Nicolas Sarkozy, au point que la plupart des élus de notre mouvement se sont offusqués et sont partis rejoindre le pouvoir. Ce ne fut pas facile. Au fond de moi, j'avais aussi la certitude que Ségolène Royal ne pouvait pas faire la politique nécessaire.
En 2012, vous ferez plus que ça?
Oui. Des millions de Français, plus nombreux qu'il y a cinq ans, attendent une alternance sans ambiguïté, mais une alternance qui ne se réduise pas au Parti socialiste. C'est dans ce combat que je suis engagé et je l'assumerai.