Au moment où sa cote de popularité bondit de 6 points à 46%, François Bayrou publiera un essai intitulé De la vérité en politique, le 12 mars, aux éditions Plon.
En attendant, voici un entretien de François Bayrou accordé à Médiapart le 1er mars
2013 :
Mediapart. En 2009, vous dénonciez dans votre livre un «pouvoir
(qui) abuse de tous les pouvoirs». Qu'en est-il sous François Hollande ? A-t-il tenu sa promesse d’une «République exemplaire»?
François Bayrou. Cet engagement d’exemplarité a été déterminant
pour l’alternance. Est-il tenu aujourd’hui ? Non, bien sûr ! Même s’il est trop tôt pour une conclusion définitive, ce qui frappe, c’est que les mêmes pratiques continuent, notamment dans le
domaine des nominations : on récompense les proches, les organismes de contrôle qui devraient être indépendants sont placés sous la responsabilité de sympathisants et même de militants. Lorsqu’en
2007, Michel Boyon, ancien directeur de cabinet du premier ministre Jean-Pierre Raffarin, a été nommé à la tête du Conseil supérieur de l’audiovisuel, François Hollande avait protesté tout comme
moi. La nomination de M. Schrameck n’en a été que plus révélatrice ! C’est le même parcours, mais sans aucune expérience dans l’audiovisuel, alors que Michel Boyon avait présidé Radio France, ce
qui lui permettait de mettre en avant une expérience indiscutable.
Outre Olivier Schrameck, les exemples de nominations de
complaisance sont nombreux : Jack Lang à l’IMA, Anne Lauvergeon à EADS, Jean-Pierre Jouyet à la tête de la Caisse des dépôts et consignations, Ségolène Royal et Jean-Paul Huchon à la BPI, etc.
Pendant la campagne, François Hollande avait pourtant promis que les hauts fonctionnaires seraient « nommés sur leur compétence, leur expérience », que «la seule loyauté qui leur sera réclamée
sera celle à l'égard de l'État et non à l'égard du chef de l'État»...
La pratique est la même : on installe des proches à des
responsabilités qui devraient être dégagées de tout intérêt partisan. Ce n’est pas cela l’esprit public dans une République digne de ce nom. La BPI est-elle une banque de service public
indépendante ? Alors pourquoi un organigramme aussi politique avec Mme Royal et M. Huchon ? Je ne vois pas d’évolution vers une République exemplaire, mais une continuité dans des habitudes qui
sont une faiblesse pour la France. Mêmes pratiques, mêmes déclarations, même caricature de l’opposition par le pouvoir et du pouvoir par l’opposition. C’est en contradiction avec la promesse
publique faite par François Hollande de tourner cette page. Je ne cesserai pas de m’élever, et pas moins aujourd’hui qu’hier, contre cette conception du pouvoir selon laquelle quand on le détient
on peuple la République de ses amis.
Si vous observez les «mêmes pratiques», pourquoi estimez-vous
qu’il est «trop tôt» pour juger ?
Il n’est pas trop tôt pour s’inquiéter. Ces huit mois ne sont pas
rassurants. Mais mon jugement est suspendu sur un point précis : ces habitudes claniques sont le résultat du bipartisme systématique qui est devenu un des principaux points de faiblesse de la
France. Or, je le crois, pour le bien du pays, ce bipartisme doit exploser. La crise à l’intérieur de la majorité se précise : la politique que François Hollande va devoir mener est incompatible
avec sa majorité.
La moralisation de la vie publique était un axe fort de votre
campagne présidentielle, tout comme François Hollande. Une fois au pouvoir, n’auriez-vous pas opéré les mêmes renoncements ?
Sûrement pas. Pour deux raisons. D’abord je n’aurais pas eu cet
ensemble d’obligations auquel on est soumis quand on provient d’un grand parti, de ses tendances et de ses clans. Je n’aurais pas été prisonnier de ce système institutionnel, j’aurais conduit une
politique déterminée pour le changer. Il faut rompre avec le “tout ou rien” à chaque élection : le pouvoir c’est tout, il n’y a pas de contre-pouvoir ; en France ceux qui gagnent ont tout, ceux
qui perdent n’ont rien, et même aucune représentation lorsque vous êtes minoritaires.
D’autre part la bipolarisation : toute personne qui a envie de
progresser est obligée de s’affilier à l’un de ces deux partis. Donc se met en place un système de prébendes. Lors des trois dernières élections présidentielles, le FN, le Front de gauche et le
centre représentent 40 %, mais moins de 1 % des députés à l’Assemblée. Ceux qui contestent sur le fond l’organisation du pouvoir ne peuvent pas s’exprimer à la tribune.
Depuis 2008, les nominations par l’exécutif sont soumises à
l’avis des commissions parlementaires, qui auditionnent les personnalités envisagées. Que pensez-vous de ces auditions ?
Ce sont des auditions pour la forme, sans portée puisqu’il faut
une majorité qualifiée, des trois cinquièmes, donc une majorité inatteignable pour s'opposer à ces nominations. J’avais proposé le contraire : une majorité qualifiée pour les approuver, ce qui
aurait obligé à un accord transpartisan.
« Le Parlement est un théâtre d’apparences »
Les présidents de la République ont coutume de recaser leurs
proches au Conseil d’État ou au Cese (conseil économique social et environnemental). Des centaines de hauts fonctionnaires végètent dans des placards dorés à la Cour des comptes, au Conseil
d’État, dans les Inspections. Comment remédier à cela ?
Il faut faire un grand ménage dans ces organismes. Tout organisme
dont la vocation est d’être un placard doit disparaître ! Songez à tout ce qu’il y a à faire en France, et à tout cet argent et ces ressources humaines gaspillées !
Comme ses prédécesseurs, Jean-Marc Ayrault a promis de faire le
tri dans le cadre de la “modernisation de l’action publique” et de supprimer un quart des 668 commissions consultatives.
C’est le minimum. Ce sera une dimension essentielle du renouveau
politique que les Français imposeront. Je pensais que François Hollande ferait cela, que la première vertu de l’alternance serait dans le domaine des pratiques politiques. Il en aurait été
grandi.
François Hollande avait dénoncé un État-UMP sous Sarkozy.
N’est-ce pas un État-PS qui se met aujourd’hui en place ?
C’est ce que le PS veut, ce que le PS trouve normal. Il faut
sortir de ce face-à-face morbide, où PS et UMP sont deux faces de la même médaille, avec les mêmes pratiques. Mais la réforme constitutionnelle est enterrée. Il était question d’une loi
électorale plus juste pour les européennes, ce n’est plus à l’ordre du jour. L’engagement avait été pris sur le cumul des mandats, aujourd’hui il est repoussé aux calendes grecques. L’enjeu
désormais, ce sera une prise de conscience des citoyens vraiment forte, dont on entendra monter ce cri : “arrêtez de vous moquer de nous” !
François Hollande met aussi de côté le droit de vote des
étrangers aux élections locales. Un renoncement supplémentaire ?
Je ne lui fais pas reproche de cela. On a le droit de
s’interroger sur l’impact de ce type de décisions sur la société française. Aujourd’hui, ouvrir un combat de plus autour du droit de vote des étrangers, c’est prendre le risque d’un clivage
agressif dans la société, une menace supplémentaire de déstabilisation.
Toutefois, non seulement cette proposition était une promesse de
campagne, mais elle figure dans les programmes présidentiels socialistes depuis trente ans...
C’est vrai. Mais on peut peut-être réfléchir différemment : il
n’est pas inimaginable qu’on examine plutôt les conditions de naturalisation. Si vous êtes en France depuis vingt ans, que vous payez des impôts, pourquoi ne pas demander la nationalité française
en conservant la vôtre ?
Dans Abus de pouvoir, vous dénonciez aussi un système d’intérêts
économiques sous la présidence Sarkozy. Est-ce le cas sous Hollande ?
Il existe toujours un lien entre les puissants intérêts
économiques et le parti au pouvoir, quel qu’il soit. C’est l’une des très grandes faiblesses du bipartisme : il n’y a que deux cases, si vous avez de grands intérêts à défendre, il vous suffit de
mettre des jetons dans les deux cases. Si nous n’instaurons pas le pluralisme, nous aurons toujours cette collusion des intérêts.
Cela va-t-il aussi loin que ce que vous décriviez sous Nicolas
Sarkozy ?
Non. Je ressens moins d’intimité dans la connivence. François
Hollande, lui, personnellement, par nature, me paraît moins fasciné par ce monde de l’argent. Il y a plus de distance.
Dans Abus de pouvoir, vous dénonciez un président devenu «
l’homme d'un clan ». Est-ce le cas de François Hollande ?
Une nation ne doit pas être dirigée selon une approche partisane
ou clanique. Les nominations que nous citons, les pratiques que l’on voit renaître, les décisions annoncées qui ne sont pas prises, pourraient faire craindre que ce soit le cas. Mais j’espère –
je pense – que François Hollande est plus rassembleur. Si ce n’est pas le cas, je le dirai.
Dans votre livre, vous regrettiez aussi que « les parlementaires
soient convoqués à l'Élysée, sommés de voter comme on le leur demande, même si cela leur coûte ». Sous Hollande, la majorité au Parlement n’est-elle pas tout autant caporalisée ?
Il n’y a pas de Parlement, car celui-ci est directement dépendant
de deux autorités : l’exécutif (qui distribue aux députés leur investiture) et le parti de l’opposition officiel (qui distribue lui aussi ses circonscriptions, selon l’avancement de la
soumission). Vous n’avez pas de voix libres, non conformistes, quand la représentation est le fruit de l’investiture des appareils et non du vote des citoyens. Le Parlement est un théâtre
d’apparences. Pendant deux semaines, on a entendu deux blocs d’arguments, toujours les mêmes lors du débat sur le mariage pour tous. On aurait eu besoin de voix différentes.
Les deux députés MoDem n’ont pas nourri ces
débats...
Jean Lassalle s’est exprimé.
... pour dire que ses électeurs ne le voyaient pas à la télé dans
ce débat et qu’il ne savait pas encore ce qu’il allait voter.
On a droit aussi à la sincérité. Il a beaucoup hésité et sur les
sujets de société c’est parfois mieux que les opinions faites d’avance ! Mais la crise du parlement vient principalement de ce qu’aucune voix divergente n’y a sa place et que n’y siègent pas ceux
et celles qui ont porté l’essentiel des plus forts messages politiques des dernières années (Martine Aubry, Alain Juppé, Marine Le Pen, Ségolène Royal, Jean-Luc Mélenchon, moi-même,
etc.).
Le débat sur le mariage pour tous a pourtant permis l’émergence
de nouvelles têtes à l’Assemblée ?
C’est une heureuse exception.
Dans votre livre, vous regrettiez que Nicolas Sarkozy ait « abîmé
», « maltraité », « méprisé le gouvernement », et que François Fillon ait été réduit à un premier ministre « effacé », traité en « collaborateur ». Y a-t-il de ce point de vue une continuité avec
Jean-Marc Ayrault ?
Non, Jean-Marc Ayrault fait l’objet de plus d’égards. Il n’est
pas humilié, Hollande prend soin de ne pas le faire, ce n’est pas une fonction vide. On verra dans quelques mois pour juger son bilan, beaucoup de gens le critiquent, mais pour l’instant je
dirais qu’il n’a pas démérité. On sent que ce n’est pas de lui que vient la communication principale, mais il a un cap, social-démocrate.
Sous Sarkozy, vous aviez fermement dénoncé des « médias sous
influence », l’absence de « barrière étanche » entre le pouvoir politique et les grands patrons de presse. Qu’en est-il sous Hollande ?
Il y a moins d’engagement des propriétaires de la presse sous le
quinquennat Hollande que sous celui de Sarkozy (où cet engagement était publiquement assumé, notamment avec la soirée au Fouquet’s). Il y a moins de proximité affichée. Mais évidemment les grands
organes de presse qui appartiennent à des groupes recevant des commandes de l’État sont toujours en situation délicate.
« Si Hollande allait devant le Congrès, de nombreux centristes et
UMP voteraient la réforme »
Vous avez toujours défendu l'indépendance de la justice comme une
garantie de la moralisation de la vie publique. Comment jugez-vous la situation aujourd’hui ?
Là aussi, on peut espérer que les choses aillent mieux. Dans
l'affaire Tapie, par exemple, on a le sentiment que les juges peuvent avancer.
Pourtant au niveau statutaire, les projets de l'exécutif restent
un peu faibles : sur le plan du statut du parquet, de la rénovation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), ou de la réforme constitutionnelle.
Sur la réforme constitutionnelle, le statut pénal du chef de
l'État, le CSM, la suppression de la Cour de justice de la République, ou encore la remise en cause du statut de membres de droit du Conseil constitutionnel accordé aux anciens chefs de l'État,
je ne comprends pas que François Hollande n’aille pas jusqu’au bout. Il est normal de distinguer ce débat du droit de vote des immigrés, qui est un débat autour de la citoyenneté et non
institutionnel. Mais sur les points essentiels, si François Hollande allait devant le Congrès, de nombreux centristes, quelles que soient leurs appartenances, mais aussi des UMP j’en suis sûr,
voteraient cette réforme. Il obtiendrait la majorité requise. Si le pouvoir ne le veut plus, ce n'est pas qu'il n'ose pas, c'est qu'il a décidé de tirer un trait sur cette affaire pour une cause
qui m'échappe.
Et aucune réforme statutaire des magistrats, du parquet, n'a été
mise en chantier...
Il faut trancher cette question statutaire pour qu'il n'y ait
plus de soupçon. Mais pour l’instant, je ne constate pas de pressions graves.
En 2010, vous comptiez parmi les politiques, qui, comme Jean-Marc
Ayrault par exemple, appelaient à la saisie d'un juge d'instruction dans l'affaire Woerth. Dans l'affaire Cahuzac, c'est le parquet qui est saisi. Faudrait-il un juge d'instruction
?
Qu’une enquête préliminaire ait été ouverte, que la justice ait
été saisie, c’est un pas en avant. C’est d’ailleurs ce que vous-même, à Mediapart, avez écrit…
Mais le parquet n'est pas indépendant...
Je suis du côté – avec les précautions qui s'imposent – de la
réforme statutaire qui permettra d'exclure tous les soupçons. Mais un magistrat du parquet n’est pas systématiquement lié dans son action. Il est lui aussi indépendant, sauf instructions écrites,
ce qui n’est pas le cas. Aujourd’hui, une enquête préliminaire est ouverte, on a le droit d’espérer que les magistrats font leur travail, la police aussi. Même si les investigations scientifiques
paraissent prendre beaucoup de temps…
Une enquête a été ouverte le 8 janvier. Et le 24, Bercy lance sa
propre procédure en Suisse...
Bercy et le ministère du budget essaient de trouver des éléments
de défense. Mais j'imagine que le magistrat, lui, a sa pleine indépendance de jugement. J'ai lu les précisions du parquet à Reuters (sur le document suisse - ndlr), le magistrat a son libre
arbitre.
Mais le fait que l'exécutif s'en mêle, cela ne menace-t-il pas
l'indépendance des pouvoirs ?
Je ne crois pas que les magistrats, pour la plupart d’entre eux,
surtout s’ils sont expérimentés, plient devant les pressions. Mon intuition me dit que le procureur doit avoir à peu près la même idée de son indépendance que celle que nous défendons. Si des
éléments probants existent, nous verrons. C'est tout de même important qu'il y ait une procédure ouverte. Ce qui aurait été très choquant, c'est qu'il n'y ait pas eu de procédure du tout. Après,
chacun défend son point de vue et essaie de mettre l’opinion et les magistrats de son côté. Ce n'est pas la première fois, et probablement pas la dernière.
Est-ce qu'on ne se situe pas, pourtant, dans la continuité de ce
que vous dénonciez dans Abus de pouvoir ?
Non, je ne ressens pas de manquement grave. Mais le jour où
j’aurai un sentiment différent, je le dirai. Si l’exécutif avait empêché qu'une enquête préliminaire soit ouverte, cela aurait été grave. Je ne prends pas une enquête préliminaire à la légère.
J'ai connu beaucoup d'enquêtes préliminaires ouvertes qui sont allées à leur terme.
En pleine affaire Woerth, en 2010, vous disiez pourtant vous-même
: « Tout cela est impossible pour une démocratie bien équilibrée (...) Nous avons besoin d'un gouvernement qu'on estime et qu'on respecte et qui est à l'abri de tout soupçon. »
C’est exactement ce que je pense encore
aujourd’hui.
Vous pensez que Cahuzac aurait dû se mettre en retrait
?
Il y a un cas où on doit se mettre en retrait, c’est quand on est
mis en examen. Avant, dans la phase préliminaire, il n’y a pas d’obligation, et heureusement. Au demeurant, chacun voit bien que dans les cas graves, il est des moments où la pression est telle
qu’il devient impossible d’assumer sereinement une fonction. Nous n’y sommes pas.
Mais cela permettrait de préserver la sérénité de la
justice...
Je ne pense pas qu'il puisse y avoir une pression sur la justice
si les magistrats sont déterminés à être indépendants. Quels que soient les statuts. C'est pourquoi j'attache plus d'importance au climat qu'aux statuts.
« J'aurais accepté la commission de moralisation de la vie
publique »
D'autres enquêtes en cours concernent le PS (Kucheida, Guérini).
Est-ce que l'UMP et le PS, sont, sous cet angle aussi, les « deux faces d’une même médaille » pour vous ?
Dès l'instant que vous donnez la totalité des pouvoirs locaux ou
nationaux à un parti, il y aura des affaires et des dérapages. C’est vrai du PS dans de nombreux départements. C’était vrai de la droite à Paris, dans les Hauts-de-Seine. Si vous donniez tout le
pouvoir au Modem, ce serait pareil. Tant que l’on sera dans cette confiscation, tant que des responsables politiques seront dépendants, salariés d'élus, membres de cabinets, collaborateurs de
collectivités locales, membres d'offices HLM, il y aura des dérives.
Vous dites qu’il y a des dérives à droite comme à gauche, mais on
a l'impression que la gauche a du mal à regarder en face les scandales qui l’éclaboussent, et que, quand elle est au pouvoir, la dénonciation des affaires est plus délicate.
Je n’ai pas vu de grande différence entre l’affaire Cahuzac et
l’affaire Woerth par exemple. Dans les deux cas, il y a même eu des déclarations de soutien venant de l’autre camp de la classe politique.
Mais en termes de réaction : parce qu’il avait demandé très
fermement la démission d’Éric Woerth, le PS est aujourd’hui embarrassé par rapport à son propre ministre du budget...
Si vous voulez dire que c'est plus confortable quand il y a des
soupçons de ce genre d'être de gauche que de droite, oui c'est vrai. La gauche est plus souvent « vêtue de probité candide et de lin blanc ». Mais tout cela n’empêche pas les mises en cause, le
moment venu.
Vous avez été très en pointe sur l’affaire Tapie, quelle est
votre réaction à son rachat d’un titre de presse avec l’argent du contribuable ?
Je refuse de prendre l’affaire Tapie sous l’angle Bernard Tapie,
je l’ai toujours dit. Tapie est un homme d’affaires qui fait des affaires. Focaliser sur lui, c’est d’une certaine manière rendre service à ceux qui ont organisé cette manœuvre. Pour moi, la
question est non pas Tapie, mais l’État ! Comment, au sein de l’État, a-t-on décidé d’organiser un mécanisme illégal qui, pour éviter une décision de justice, aboutissait à spolier le
contribuable de 400 millions d’euros ? Pourquoi le ministère des finances, le CDR (Consortium de réalisations - ndlr), l’EPFR (Établissement public et financier de restructuration - ndlr) sont
entrés dans cette organisation concertée, soupçonnée aujourd’hui par la justice de faux et détournement ? Comment a-t-on pu laisser faire cela ? Pourquoi n’y a-t-il eu qu’un petit noyau de gens
pour mener le combat envers et contre tous ?
Christine Lagarde va être convoquée devant la Cour de justice de
la République (CJR) dans le cadre de l’affaire Tapie : c’est une forme de justice particulière que François Hollande avait prévu de supprimer mais qui va peut-être subsister...
Il faut que cette réforme soit réalisée. Je suis très choqué du
principe de la CJR. Comment peut-on accepter que des ministres soient jugés non pas par des magistrats mais par des parlementaires ? Dans quel pays normal les ministres bénéficient-ils de ce
privilège d’être jugés par d’autres hommes politiques, qui participent au jugement en tant qu’hommes politiques ?
Dix mois plus tard, regrettez-vous votre vote à François Hollande
lors de la présidentielle ?
Les grandes raisons qui expliquaient ce choix ont toujours leur
poids. Mais j’ai une interrogation majeure sur François Hollande : aura-t-il la volonté de changer les choses dans la vie politique, économique et sociale du pays ? On le voit dans la question de
cette pratique institutionnelle trop partisane, on le voit lorsqu’on aborde les grandes questions économiques et sociales. De grandes réformes sont nécessaires. Seront-elles assumées
?
Vous a-t-il proposé un poste – au Conseil constitutionnel, au CSA
ou bien un commissariat européen, comme on a pu le lire ?
Il ne l’a pas fait et l’eût-il fait que ma réponse eût été non.
Nous n’avons jamais eu cette conversation et je ne veux pas de ce genre de prébendes.
Vous proposer un poste aurait pu être un signe d’ouverture, vous
qui dénoncez les nominations des amis ?
Il aurait pu me proposer la commission de moralisation de la vie
publique, mais il ne l’a pas fait. Cela, je l’aurais accepté.
Accepteriez-vous de rentrer au gouvernement si on vous le
proposait ?
Une bonne fois pour toutes : non ! Je n’ai aucune envie et aucune
stratégie pour entrer dans le gouvernement. Avec un principe simple : il n’est légitime de participer à un gouvernement que lorsqu’on se trouve en accord profond avec lui. J’attendais de
l’alternance que se réalise la réorientation qui est nécessaire pour mon pays et qui devrait comporter au moins deux points majeurs. Premièrement, une politique d’urgence économique et sociale,
qui passe par une mise en priorité du produire en France. François Hollande a commencé à promettre une réorientation dans sa conférence de presse de novembre mais il y a visiblement, pour
l’instant, un combat entre deux tendances au sein du gouvernement et de la majorité, et donc une illisibilité et une incapacité à prendre les décisions qui s’imposent. Deuxièmement, il faut un
changement dans la pratique politique et les institutions. Je n’ai aucune tentation d’abandonner ce combat. Mon attitude en face du gouvernement est celle de l’intransigeance, pas de la
connivence.
On a l’impression que vous attendez que la crise s’aggrave pour
contraindre le gouvernement à faire sa réforme ?
La crise s’aggravera tant que le gouvernement n’aura pas fait sa
révolution. C’est écrit. Et alors ils devront changer. Nous risquons dans les mois qui viennent des troubles et des accidents, une montée des extrêmes n’est pas exclue.
Et à ce moment-là, vous rentreriez dans un gouvernement
d’union?
Je vous l’ai dit : arrêtons ces fantasmes ! La France a le plus
urgent besoin d’un gouvernement de l’urgence ou un gouvernement du courage. Mais on voit bien qu’au sein même de la majorité et du gouvernement, deux lignes s’opposent. Cela rend l’action du
gouvernement ambiguë et illisible. En novembre, lors de sa conférence de presse, François Hollande a choisi un cap qui est en phase avec ce que je crois nécessaire : soutien de l’offre, des
entreprises, des chercheurs, des créateurs, des services. Si c’est cette la ligne qu’il choisit et qui s’impose en priorité à toutes les autres, alors la France a une chance de s’en sortir ! Mais
ce choix ne peut pas se faire à moitié. Si la ligne est incertaine, et ambiguë, alors cela ne marchera pas.