Moqué, lâché par d'anciens fidèles, François Bayrou garde la tête froide et ne déroge pas de sa ligne de conduite. Opposant sans concession à Nicolas Sarkozy, le président
du Modem demeure, aux yeux des Français (voir notre sondage), un présidentiable crédible. Le centriste savoure tout en menant une campagne âpre pour les municipales à Pau.
"C'est un conte de fées." Parti ce week-end à Pau où il mène une campagne de "ouf", François Bayrou est sur un nuage. Continûment raillé par ses ex-amis du Nouveau Centre
qui dénoncent, qui son "narcissisme", qui son "aveuglement", qui son "nombrilisme", le président du MoDem n'en finit pas de "kiffer" la confiance que lui
manifestent les Français, huit mois après l'élection présidentielle. "C'est plus qu'encourageant", lâche-t-il, sourire aux lèvres, en prenant connaissance des résultats de notre
sondage, alors qu'engagé dans un combat incertain dans la capitale du Béarn, il redoute d'être mangé à la sauce Urieta, le maire sortant de gauche qui a fait alliance avec l'UMP pour le
contrer. "Ils veulent tous ma peau", résume-t-il avec un soupçon de gourmandise dans la voix. En politique, on mesure parfois son importance au nombre de ses ennemis! "Je leur
fais peur, ou quoi?"
Quatre jours après la visite "provocante" de Nicolas Sarkozy, venu apporter son soutien à son rival, le président du MoDem reprend, paradoxalement, espoir. "C'est
contre-productif. Le déplacement du chef de l'Etat, à Pau, a quelque chose de ridicule. De surdimensionné. De Gaulle ne s'entendait pas avec Mendès, mais n'allait pas se mêler des municipales
de Louviers. Ce n'était pas de son niveau". De Gaulle... François Bayrou aime beaucoup, par les temps qui courent, faire référence au Général, lui aussi "trahi",
"abandonné", "ignoré" et dont le "chemin" a été marqué par de "grands moments de solitude".
"Il a décidé de me tuer. Qu'il essaie"
"C'est le lot de tous les leaders", relève l'ex-troisième homme de la présidentielle qui se mord la langue pour ne pas dire "grands" et qui évoque, dans la foulée, François
Mitterrand envers lequel il ne cache pas une certaine admiration. La défaite? Le président du MoDem n'y pense pas. "Je me lance dans chaque combat avec l'idée de le gagner. Je laisse le
risque à sa place." Convaincu que sa posture d'opposant à Sarkozy est la bonne, il ne cède pas un pouce de terrain: "Tout le monde se courbe, se plie, fait risette. Moi je lui
résiste. Il n'est pas habitué. Il a décidé de me tuer. Qu'il essaie", lance-t-il, bravache, en dénonçant, pêle-mêle, la "conception hollywoodienne du pouvoir", "l'amour de
l'argent" et "l'étalage sentimental puéril" du locataire de l'Elysée.
Des attaques qu'il profère depuis un bon bout de temps maintenant ("J'ai la cohérence de mon côté") et qui commencent à rencontrer un écho certain dans l'opinion publique. Ce qui ne
l'étonne pas. "Les Français ne sont pas fous. Ils ont tous leur règle de vie. Ils savent que divorcer fait mal, qu'on ne repart pas comme ça, d'un coup de baguette magique, dans une
nouvelle vie. Que tout ne vaut pas tout."
Persuadé que, s'il a perdu dans les urnes en mai dernier (18,57%), il a "gagné la bataille dans les esprits", François Bayrou n'est pas pressé: "Le moteur Sarko n'a pas besoin de
moi pour tomber en panne." Tout à sa campagne électorale qu'il veut locale et loin des caméras ("je n'ai pas besoin d'une horde de photographes pour faire du porte-à-porte et les
cages d'escalier"), le président du MoDem espère devenir, après André Labarrère qui régna sur la ville de 1971 à 2006, la nouvelle "grande histoire d'amour" des Palois.
"Comment voulez-vous qu'ils s'y retrouvent avec toutes ces listes d'ouverture abracadabrantes! Leurs repères sont brouillés. Contrairement à ce qui se dit, ce n'est pas sur ma liste que
la confusion règne."
Avec le même aplomb, François Bayrou défend la ligne observée par son parti à l'occasion de ces élections. "Le MoDem présente des listes autonomes dans 70% des cas. Ailleurs, il soutient
celui qui lui paraît être le meilleur candidat. Quelle que soit l'étiquette. Une élection municipale se fait, avant tout, sur des critères locaux." Ainsi Alain Juppé (UMP) à Bordeaux,
François Rebsamen (PS) à Dijon, Xavier Darcos (UMP) à Périgueux, René Vandierendonck (PS) à Roubaix ou Hélène Mandroux (PS) à Montpellier, pour ne citer que les villes les plus
"emblématiques".
Il mise sur "l'inévitable déception" des Français
A Lyon, malgré les pressions insistances, voire menaçantes, de Dominique Perben (UMP), le MoDem maintiendra, "coûte que coûte" une liste autonome avec le candidat déjà investi,
Christophe Geourjon. Tout comme à Aix-en-Provence avec François-Xavier de Peretti, à Rennes avec Caroline Ollivro, ou à Metz avec Nathalie Griesbeck, député européenne. Et, bien sûr, à Paris
avec Marielle de Sarnez qui plafonne toujours à 7% d'intentions de vote. Des accords entre les deux tours sont programmés. Ils se feront "au cas par cas". Sans a priori. "Nos
candidats ne sont plus dans la culture de l'assujettissement ou du désistement systématique pour le candidat de droite. Cette période-là est révolue", prévient Bayrou. Ainsi, à Paris, et
même s'il n'est surtout pas temps de le dire, un accord avec Bertrand Delanoë se profile. Dans l'entourage de Bayrou, on juge, en effet, le débauchage par l'UMP de Jean-Marie Cavada,
aujourd'hui "candidat Panafieu" dans le 12e arrondissement, "parfaitement inacceptable". "C'est une véritable déclaration de guerre."
Signe des temps, le lâchage de Cavada, qui avait pourtant résisté jusqu'ici aux sirènes du sarkozysme, ne fait plus bondir François Bayrou qui en a vu d'autres. "J'ai fait table rase du
passé. Peau neuve. Le MoDem n'a peut-être plus d'élus, mais il aligne les militants (65 000) et des talents nouveaux qui, demain, irrigueront la vie politique française. J'ai investi plus de
400 nouvelles têtes de liste pour ces municipales. Rien que du sang neuf."
A distance volontaire du "système Sarko" dont il réprouve "presque tout", François Bayrou observe, avec scepticisme, les tentatives des personnalités de gauche entrées dans
le gouvernement Fillon pour faire bouger les choses de l'intérieur. "Certaines sont de bonne foi quand elles disent pouvoir influencer le cours des choses. Je n'y crois pas une seconde.
C'est comme se cogner la tête sur une porte fermée." Parce qu'il mise sur "l'inévitable déception" des Français vis-à-vis de Sarkozy ("Je sens une colère rentrée") et
sur les divisions béantes ("de forme et de fond") du PS, Bayrou travaille patiemment à construire un "parti de reconstructeurs et de rénovateurs". Une maille à l'envers, une
maille à l'endroit. "Où est passé le modèle républicain français? Il faut repartir aux sources". Un discours qu'il tiendra sans désemparer le 10 février prochain lors de la
convention municipale que le MoDem organise à Paris et au cours de laquelle sera adoptée une charte municipale à l'intention de tous les candidats "maison".
(C) Par Virginie LE GUAY
Le Journal du Dimanche 27 janvier 2008