Droite . À l’occasion de la conférence nationale du parti de François Bayrou, rencontres avec des militants qui jugent « dépassés » les clivages traditionnels.
Aubagne, Marseille, Montpellier, correspondant régional.
Du Modem, on connaît François Bayrou. On ne connaît même que lui, ou presque. Pourtant la formation lancée en 2007 est en phase de structuration. Le 27 septembre, elle s’est dotée d’instances
dirigeantes départementales. Hier, elle tenait sa première conférence nationale, point de départ du travail programmatique. Malgré la raclée législative et la tambouille municipale, le Modem
revendique aujourd’hui 55 000 adhérents. Quelles sont les motivations et les valeurs de ces militants, leur « être politique » ? Rencontre avec dix d’entre eux, aux parcours
politiques aussi divers que leurs profils sociologiques.
Le Modem, le clivage gauche-droite et eux…
« Dépassé », « inopérant », « caduc », ce clivage gauche-droite qui structure la vie politique française. « Les électeurs en ont assez des clivages
idéologiques très marqués. Le score de Bayrou illustre cela », justifie Catherine Labrousse. « Les clivages gauche-droite et capitalisme-anticapitalisme sont dépassés », dit
aussi René Turco, ancien membre du PCF, qui assure pourtant avoir gardé « ses convictions »… Pour Josiane Royère, « gaulliste mais pas de droite », ex-RPR, « la
politique d’il y a quelques années et celle d’aujourd’hui n’ont absolument rien à voir ».
François Buffa, « homme de gauche qui a toujours voté à gauche », avant Bayrou en 2007, rappelle que « la pratique des gouvernements depuis vingt ans a fait que les gens ne
perçoivent plus ce clivage qui est de toute façon déplacé ». Il ne s’en tourmente pas, il s’en félicite.
Selon Mohamed Laqhila, le nouveau paradigme de la vie politique distinguerait démocrates et conservateurs. « Démocrate, c’est faire bouger les lignes. Conservateur, c’est le repli sur
soi », explique-t-il. Son collègue marseillais Saïd Ahamada envisage plutôt un jeu à trois, avec « trois modes de pensée : les libéraux, les démocrates et sociaux-démocrates, la
gauche de la gauche ». En tout état de cause, pour Florence Bistagne, « un espace politique est en train de naître entre une droite qui se droitise et une gauche qui se demande si
elle se gauchise ou pas ».
Sarkozy, le sarkozysme et eux…
Cette « droite qui se droitise » porte un nom : le sarkozysme. Distiller une vanne antisarkozyste en compagnie de militants du Modem constitue un placement de père de famille.
Succès garanti. Normal. En s’épurant des cadres et des militants partis au Nouveau Centre, la formation de François Bayrou s’est renforcée dans sa « pureté » antisarkozyste. Face aux
dérives du pouvoir actuel, le Modem se veut porteur des valeurs républicaines. « J’entends dans le discours de Bayrou les valeurs républicaines (laïcité, impartialité, services publics).
C’est ce qui touche ma fibre de gauche », indique François Buffa.
Pourtant… Lors d’une réunion du Modem, à Gémenos, près de Marseille, un militant livre son expérience : « On nous reproche de faire de l’antisarkozysme primaire et de ne pas nous
démarquer des socialistes. » François-Xavier de Peretti, UDF « historique » et patron de la fédération des Bouches-du-Rhône : « On connaît les lignes de fracture avec
les socialistes, l’économie, le rôle du marché, les 35 heures, le travail. » Ce qui amène donc au point suivant…
Le PS, la social-démocratie et eux…
« Mes divergences avec le PS portent sur l’entreprise, la compétitivité », confirme Patrick Diez, nouveau venu dans le monde du militantisme politique. Mais, précise-t-il, il a
« plus d’affinités avec le PS qu’avec l’UMP ». « Une frange de la gauche partage nos valeurs, contrairement à la droite », analyse Florence Bistagne. La plupart ont voté
Royal au deuxième tour de la présidentielle. « Contre Sarkozy plutôt », précisent-ils aussitôt.
La relation au PS est faite de méfiance et de désaccords. Reproche formulé : le Parti socialiste français, en retard sur ses collègues européens, ne serait pas assez « moderne ».
Mais quid de la social-démocratie allemande ou de la Marguerite italienne ? De Schroeder ou de Prodi ? Quelques réponses.
Florence Bistagne : « Je me sens très proche d’un Romano Prodi et je me sentirais un peu plus à gauche que Tony Blair. Proche de Schroeder aussi, de Delors. » Jean-Marie
Orihuel : « Peu de chose nous sépare des vrais sociaux-démocrates (Rocard, Delors, DSK). »
Lors de la réunion déjà évoquée, François-Xavier de Peretti (« FXDP ») prend en exemple Prodi « qui a su rassembler la gauche en l’arrimant au centre et en sortant des ornières
de l’extrême gauche ». Prodi contre Berlusconi : en Italie, la bataille a pourtant tourné court…
Le capitalisme, la régulation et eux…
À Gémenos, toujours. « Il va bien falloir que l’on dise ce que l’on pense de la crise financière », clame « FXDP », qui laisse l’assistance sur sa faim en ne disant pas,
lui, ce qu’il en pense. Sur le « noyau dur » économique, le spectre est plutôt large entre une Florence Bistagne « plus libérale que keynésienne » et un Georges Fandos qui
milite pour une réponse à la crise par la « réactivation de la préférence communautaire pour une relance keynésienne à l’échelle de l’Europe ». Entre les deux, Saïd Ahamada estime que
« l’économie de marché, c’est un moyen pas une fin ». Mais encore ? « Il faut revoir le système à sa base en acceptant l’économie de marché. » Personne ne se revendique
« ultralibéral ». Libéral, oui, à l’instar de Catherine Labrousse, qui assure que « le libéralisme, ce n’est pas la jungle. Ce n’est pas ce qu’on vit avec les marchés financiers
aujourd’hui ».
Le marché, oui, mais « encadré ». Comment ? Mystère et boule de gomme, pour l’instant. Le retour du rôle de l’État ? Moues dubitatives. Alors ? « La réponse se
situe à l’échelle de l’Europe. » Avec la commission Barroso aux manettes ? Mines renfrognées.
La partie économique et sociale du futur programme constituera, sans aucun doute, le juge de paix du positionnement du Modem sur l’échiquier politique et un étalon pour jauger de son ambition
affichée de placer « l’homme au centre de tout ».
Christophe Deroubaix
L'Humanité - 27.10.07
Qui sont-ils ?
Bayrou = Lecanuet + un parti ?