Je vous l'ai dit : première idée, pour nous
en sortir, nous devons comprendre que les problèmes sont chez nous et pas ailleurs.
Ne sont-ils pas des problèmes européens?
Non, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas sont en Europe, ils produisent et exportent. Le problème, c'est la France, son organisation, la manière dont ont été stérilisés des secteurs du
pays, qui étaient des secteurs de création et qui deviennent des secteurs de désert. De même, la question de l'éducation, les difficultés si lourdes de l'éducation en France, ne dépendent
ni de l'Europe ni du monde : elles dépendent uniquement de notre pays, de son organisation et de sa volonté.
Deuxièmement, on ne peut retrouver son indépendance qu'à partir du moment où on se libère de sa dette. Troisièmement, la question principale est de reconquérir la production. Quatrièmement,
la question principale est de reconquérir l'éducation.
Cinquièmement, ça ne pourra se faire que dans une démocratie qui aura retrouvé les règles élémentaires (presse, justice) qui permettent de respirer dans un pays et qui évitent les abus de
pouvoir (je rappelle que j'ai écrit un livre qui portait ce titre).
Est-ce que vous estimez que l'économie de ce pays est confisquée par une oligarchie?
Ce n'est pas l'économie, c'est pire, c'est la vie politique qui a été en effet entièrement organisée de manière opaque autour d'un mélange illégitime des intérêts économiques, financiers et
médiatiques, de réseaux d'influence qui s'entre-soutiennent pour contrôler le pays. C'est un système de connivence, de surcroît implanté dans les deux partis principaux. Voilà pourquoi il
faudra un président de la République indépendant. Et voilà pourquoi notre démarche d'indépendance sera cruciale. La connivence, l'endogamie dans les idées touchent les uns et les autres.
Seule une majorité nouvelle et un président indépendant peuvent changer cela, peuvent remettre les choses à l'endroit. On va dire à ces entremetteurs, à ces influences opaques : voyez-vous,
là, c'est la porte de l'Elysée, de la maison civique, et vous n'y entrez pas comme dans un moulin pour décider à la place des vrais décideurs qui doivent s'exprimer au nom du peuple. Je me
suis opposé à la privatisation des autoroutes, la gauche s'est tue. Je me suis opposé à l'affaire Tapie, souvent seul. Je me suis opposé à tous les manquements et j'ai employé à propos des
affaires Takieddine, Bourgi, Djouhri, les mots adéquats, grâce à la liberté que donnait cette indépendance.
Deuxième pilier, la production: que faites-vous des groupes du CAC40? Cela pose la question de la réforme fiscale et de la dette dont vous faites une priorité...
Non, la priorité des priorités, c‘est la raison qui pousse à la dette : c'est la reconquête du produire.
Et, concrètement, comment réindustrialiser la France?
On met les grandes entreprises en réseau avec les petites entreprises pour que ces dernières accèdent aux process de production, on met à égalité les PME et les grandes entreprises par une
simplification du droit fiscal et social. On réinvente le travail que faisait autrefois le commissariat au plan pour définir les nouveaux secteurs ou les secteurs abandonnés à reconquérir
en commençant par le haut de gamme. On crée un label sur la production en France pour que le consommateur devienne un acteur de cette politique. On travaille sur l'image de marque du pays
car c'est à cause de cette image de marque que nous perdons les marchés à l'exportation. On travaille sur la refondation de la confiance sociale parce que la confiance entre syndicats et
entreprises est une donnée clé de la reconquête.
Comment faire aujourd'hui accepter aux électeurs un plan d'austérité ou l'équivalent de ce qu'a été l'agenda 2010 de Schroeder, lorsqu'il était chancelier allemand au début des
années 2000?
Par pédagogie, vérité, audace de s'adresser à ce que les électeurs ont de plus responsable en eux. Il y a des temps où on peut accepter la démocratie de séduction, et des temps, comme ceux
que nous vivons, où il faut une démocratie de conscience. On ne peut pas faire de la politique sans avoir le courage de s'adresser à la population en disant «on va y
arriver» et en expliquant clairement, sans faux-fuyant, quel chemin suivre.
Et que dites-vous à la moitié des Français qui gagnent moins de 1.500 euros par mois?
Je leur dis la vérité: le pouvoir d'achat ne cesse de baisser parce que nous sommes soumis à une hémorragie à cause de notre déficit du commerce extérieur: chaque année nous donnons 75
milliards d'euros de nos ressources nationales pour soutenir les économies de nos voisins. Ne vous étonnez donc pas que le pouvoir d'achat tombe. Il faut donc s'attaquer à la cause !
Lénine disait : «Seule la vérité est révolutionnaire.» Moi je crois que la vérité est la condition sine qua non du redressement du pays. Et si on n'ose
pas la dire, ce seront de grands malheurs. Il faudra conduire cette politique de reconstruction avec quelqu'un dont on soit sûr qu'il ne sert aucun intérêt, qui a fait ses preuves et qu'on
écoutera quand il parlera de la situation du pays, des efforts nécessaires et des étapes qui conduisent à une nouvelle ère de la France.
Avez-vous conscience que deux mots sont largement inaudibles aujourd'hui: Europe et austérité. Que la plupart des responsables politiques parlent d'une crise européenne qu'ils ne
maîtrisent pas et ne disent rien ou bien peu de la crise sociale de ce pays?
Pourquoi n'y a-t-il pas d'intégration des jeunes et des immigrés? Parce qu'il n'y a plus d'emploi. Nous sommes un pays qui s'appauvrit sans cesse. Eh bien on va changer cela. La France a
déjà traversé des passes aussi noires. On va s'en sortir. Et c'est pourquoi mon message est un message de fondamental optimisme. Je dirai la vérité. Et je dirai la mobilisation et
l'enthousiasme nécessaires. En 2004, l'Allemagne était derrière nous. Cinq ans après, ils dominaient l'Europe. C'est très court cinq ans en histoire, c'est comme une minute, un soupir. Ce
que nos voisins ont fait nous pouvons le faire, et nous devons le faire.
Je ne crois pas aux choses baroques, je crois que l'Europe se fera le jour où on réconciliera l'idée de nation et l'idée européenne. Moi qui suis un Européen, j'aime l'idée de nation
française. Il importe de comprendre que les deux nations, allemande et française, ont leur dynamique propre et leur histoire.
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