François Bayrou, président du Mouvement Démocrate, a répondu aux questions de la rédaction du journal France Soir, jeudi 28 juillet.
Il revient notamment sur les mesures qu'il a défendu auprès de Nicolas Sarkozy, face à la crise de la zone Euro.
F
rance-Soir. La France est-elle à l’abri, demain, d’une situation à la grecque ?
François Bayrou. La France n’est pas à l’abri du sort de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie. Si rien n’est fait, nous allons, à coup sûr, rencontrer les mêmes difficultés qu’eux. En
2007, j’avais déjà fait de cette question un élément central de ma campagne. Mais, par rapport à notre situation d’aujourd’hui, c'est presque un temps qu'on regretterait. Le déficit de la France
était alors de 40 milliards. C’était déjà énorme. Or, cette année, il sera plus près de 150 milliards d’euros, c’est-à-dire qu’il a été presque multiplié par quatre.
F.-S. N’est-ce pas imputable d’abord à la crise ?
F. B. Selon la Cour des comptes, la crise ne représente qu’une petite part de notre déficit : de l’ordre de 30 milliards. Notre déficit est donc principalement la conséquence denos déséquilibres
de long terme. Il est étroitement lié à une question clé : le commerce extérieur de la France s’effondre mois après mois, aggravant sans cesse nos déséquilibres. Toutes les semaines, ce sont des
milliards d’euros qui s’en vont de notre pays. Quand on en est là, comment peut-on espérer - sinon en empruntant à tour de bras - conserver notre modèle social, notre niveau de vie, nos services
publics ? Cette situation appelle une prise de conscience générale. Pour l’instant, l’euro nous protège. Si l’euro n’existait pas, le château de sable se serait déjà écroulé…
F.-S. On ne peut pas emprunter sans fin…
F. B. C’est pourtant là que nous en sommes ! Ce n’est pas sans raison que j’ai, depuis quatre ans, multiplié les alarmes sur la situation du pays. Ce qui est incroyable dans cette situation,
c’est que certains à gauche demandent à dépenser plus : elle annonce des emplois publics supplémentaires par centaines de milliers ! Aujourd’hui, entre les candidats PS, c’est un débat adapté à
la campagne de 1995 ou à celle de 2002, pas à celle de 2012. Un certain nombre d’entre eux le savent très bien d’ailleurs !
F.-S. Vous avez été reçu lundi à Élysée par Nicolas Sarkozy pour évoquer justement la question de la dette. Que lui avez-vous dit ?
F. B. J’ai parlé longuement avec Nicolas Sarkozy du risque que fait courir à l'euro la réponse insuffisante qui a été trouvée pour la Grèce. Je lui ai aussi parlé de la « règle d’or » que je
réclame en réalité depuis 2002. Pour moi, il s’agirait d’inscrire dans la Constitution la règle selon laquelle, quand la croissance est là, le déficit budgétaire est interdit, du moins en matière
de dépenses de fonctionnement. A la limite, on peut imaginer que, pour investir, on puisse emprunter. Et en temps de récession, on pourrait aussi, s’il le faut, réinjecter de l’argent public. Ce
n’est pas vraiment le dispositif que le gouvernement a adopté. Ce n’est pas le texte simple et clair que j’aurais souhaité. Mais c’est un pas dans la bonne direction. J’ai dit à Nicolas Sarkozy
qu’à sa place j’irais au Congrès pour mettre tous les élus, de quelque bord qu’ils soient, en face de leurs responsabilités. C’est un moment grave pour le pays, une question essentielle. Je lui
ai donc indiqué que, même si le texte n’était pas celui que j’aurais souhaité, je le voterais. Pour être en cohérence avec ce que j’ai dit depuis des années.
F.-S. Cette réunion du Congrès, le PS la dénonce comme un « piège »…
F. B. Je ne fais pas passer la politique politicienne avant les intérêts essentiels du pays. Ce n’est pas un piège pour le PS. La situation d’aujourd’hui, c’est un piège pour 65 millions de
Français.
F.-S. Y aura-t-il encore des marges de manœuvre pour le vainqueur de 2012 ?
F. B. Oui, il en restera. Mais toutes les promesses qui ne prendront pas en compte la nécessité de reconstruire le pays sur des bases saines seront autant de promesses vaines.
F.-S. L’affaire de la dette est-elle « le » nouveau clivage ?
F. B. Je pense, depuis longtemps, que le clivage gauche droite n’a plus de sens parce que, dans les deux camps, il y a des gens qui pensent des choses radicalement différentes. Or l’élection
présidentielle va se jouer sur ces questions de fond. Elle doit faire naître une approche politique nouvelle, que je porte et je recommande depuis des années.
F.-S. Nicolas Sarkozy, que vous avez tant combattu, a-t-il changé ?
F. B. En 2007, je me suis opposé à Nicolas Sarkozy parce que les valeurs qu’il proposait à la France étaient en contradiction avec ce que je crois : une place excessive accordée à la réussite
matérielle, à l’argent, une manière de tourner le dos à une partie de notre histoire culturelle et sociale, le choix de favoriser les inégalités, sans compter un système de gouvernement absurde
qui consistait à concentrer tous les pouvoirs entre les mêmes mains avec un gouvernement effacé. Il était le président d’un parti au lieu d’être le président d’un pays. A-t-il changé ? Les hommes
peuvent-ils changer ? Il est sans doute plus retenu, et moins caricaturalement du côté des intérêts catégoriels. Sur le fond, a-t-il compris qu’un président de la République c’est quelqu’un qui
doit rassembler et proposer une vision ? Sa démarche s’inscrit toujours dans cette guerre d’un camp contre l’autre. Moi, je pense qu’il faut changer la politique de la France. Lui pense qu’il
faut continuer. Entre nous, c’est une contradiction majeure.
F.-S. Serez-vous candidat en 2012 ?
F. B. Je m’exprimerai à la rentrée sur ce que je considère comme essentiel pour la France. Le processus de l’élection présidentielle suivra. Aujourd’hui, je ne veux pas faire partie de ce manège
de chevaux de bois, avec ceux qui montent, descendent, puis disparaissent. Ça tourne, ça tourne… Nous sommes dans le temps de la prise de conscience pour le pays. Le temps des réponses viendra à
la fin de l’année quand les choses deviendront sérieuses.
F.-S. Au centre, vous êtes concurrencé par Jean-Louis Borloo…
F. B. Vraiment ? Nos démarches ne sont absolument pas les mêmes. Lui, il a été depuis dix ans un des piliers de la majorité actuelle. Ses amis et lui ont tout approuvé, tout voté, tout applaudi,
tout ce qui a été, pour moi, des motifs lourds d’opposition. Aujourd’hui, il y a une querelle à l’intérieur de la majorité. C’est leur affaire. Ce dont la France a besoin, c’est d’un
renouvellement profond, pas d’une guerre intestine entre radicaux et UMP. Dans une élection présidentielle, deux questions comptent : quel est le chemin ? Qui propose ce chemin ? Le chemin, je
vous en ai parlé. Pour le reste, ce qui importe, c’est de savoir si celle ou celui qui parle aux Français a fait preuve dans sa vie de cohérence, celle qui garantit que sa conduite ne relève pas
de l’opportunisme ou de la rancœur, que ce n’est pas une girouette qui tourne avec le vent.
F.-S. Y a-t-il des socialistes avec lesquels vous pourriez dialoguer ?
F. B. Il y en a beaucoup. Ce sont des gens que je respecte comme il y a beaucoup de gens que je respecte à l’UMP. Ce qui se dessine, c’est la majorité qu’il faudra pour la France : une majorité
centrale, et non plus une majorité de camp contre camp. Mais pour cela, il faut que les socialistes comprennent que cette majorité centrale est incompatible avec un certain nombre de thèses en
leur sein ou chez leurs alliés.
F.-S. Si vous n’êtes pas présent au second tour, ferez-vous un choix cette fois-ci entre les deux finalistes ?
F. B. Tout le combat que je mène, c’est pour être au second tour. Si ce n’était pas le cas, collectivement, nous ferions évidemment un choix.
F.-S. Pensez-vous comme Nicolas Sarkozy que la France glisse à droite ?
F. B. Glisser, ce n’est pas le mot. Mais, c’est vrai, il y a un déplacement vers plus d’autorité, plus de rigueur, plus de repères. Les gens exigent que ceux qui sont en charge de l’autorité
fassent leur travail, et c’est absolument légitime.
F.-S. Est-ce que cela ne met pas un candidat du centre en porte-à-faux ?
F. B. Au contraire ! Le centre, c’est le seul lieu où l’on soit capable de prendre en compte les attentes des deux bords. Le centre, ce n’est pas le « ni ni ». Des deux côtés, il y a des attentes
légitimes.